l’âme trop belle, l’esprit trop délicat, et surtout trop <strong>de</strong> franchisepour être long-temps <strong>com</strong>plice <strong>de</strong> ces frau<strong>de</strong>s. Habituéeà lire en elle-même, au premier pas d<strong>ans</strong> le vice, car ceci étaitdu vice, le cri <strong>de</strong> sa conscience <strong>de</strong>vait étouffer celui <strong>de</strong>s passionset <strong>de</strong> l’égoïsme. En effet, chez une jeune femme dont lecœur est encore pur, et où l’amour est resté vierge, le sentiment<strong>de</strong> la maternité même est soumis à la voix <strong>de</strong> la pu<strong>de</strong>ur.<strong>La</strong> pu<strong>de</strong>ur n’est-elle pas toute la femme ? Mais Julie ne voulutapercevoir aucun danger, aucune faute d<strong>ans</strong> sa nouvelle vie.Elle vint chez madame <strong>de</strong> Sérizy. Sa rivale <strong>com</strong>ptait voir unefemme pâle, languissante ; la marquise avait mis du rouge, etse présenta d<strong>ans</strong> tout l’éclat d’une parure qui rehaussait encoresa beauté. Madame la <strong>com</strong>tesse <strong>de</strong> Sérizy était une <strong>de</strong> cesfemmes qui préten<strong>de</strong>nt exercer à Paris une sorte d’empire surla mo<strong>de</strong> et sur le mon<strong>de</strong> ; elle dictait <strong>de</strong>s arrêts, qui, reçusd<strong>ans</strong> le cercle où elle régnait, lui semblaient universellementadoptés ; elle avait la prétention <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s mots ; elle étaitsouverainement jugeuse. Littérature, politique, hommes etfemmes, tout subissait sa censure ; et madame <strong>de</strong> Sérizy semblaitdéfier celle <strong>de</strong>s autres. Sa maison était, en toute chose, unmodèle <strong>de</strong> bon goût. Au milieu <strong>de</strong> ces salons remplis <strong>de</strong>femmes élégantes et belles, Julie triompha <strong>de</strong> la <strong>com</strong>tesse. Spirituelle,vive, sémillante, elle eut autour d’elle les hommes lesplus distingués <strong>de</strong> la soirée. Pour le désespoir <strong>de</strong>s femmes, satoilette était irréprochable, et toutes lui envièrent une coupe<strong>de</strong> robe, une forme <strong>de</strong> corsage dont l’effet fut attribué généralementà quelque génie <strong>de</strong> couturière inconnue, car les femmesaiment mieux croire à la science <strong>de</strong>s chiffons qu’à la grâce et àla perfection <strong>de</strong> celles qui sont faites <strong>de</strong> manière à les bien porter.Lorsque Julie se leva pour aller au piano chanter la romance<strong>de</strong> Desdémone, les hommes accoururent <strong>de</strong> tous les salonspour entendre cette célèbre voix, muette <strong>de</strong>puis si longtemps,et il se fit un profond silence. <strong>La</strong> marquise éprouva <strong>de</strong>vives émotions en voyant les têtes pressées aux portes et tousles regards attachés sur elle. Elle chercha son mari, lui lançaune œilla<strong>de</strong> pleine <strong>de</strong> coquetterie, et vit avec plaisir qu’en cemoment son amour-propre était extraordinairement flatté.Heureuse <strong>de</strong> ce triomphe, elle ravit l’assemblée d<strong>ans</strong> la premièrepartie d’al piu salice. Jamais ni la Malibran, ni la Pastan’avaient fait entendre <strong>de</strong>s chants si parfaits <strong>de</strong> sentiment et44
d’intonation ; mais, au moment <strong>de</strong> la reprise, elle regarda d<strong>ans</strong>les groupes, et aperçut Arthur dont le regard fixe ne la quittaitpas. Elle tressaillit vivement, et sa voix s’altéra.Madame <strong>de</strong> Sérizy s’élança <strong>de</strong> sa place vers la marquise.– Qu’avez-vous, ma chère ? Oh ! pauvre petite, elle est sisouffrante ! Je tremblais en lui voyant entreprendre une choseau-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ses forces…<strong>La</strong> romance fut interrompue. Julie, dépitée, ne se sentit plusle courage <strong>de</strong> continuer et subit la <strong>com</strong>passion perfi<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa rivale.Toutes les femmes chuchotèrent ; puis, à force <strong>de</strong> discutercet inci<strong>de</strong>nt, elles <strong>de</strong>vinèrent la lutte <strong>com</strong>mencée entre lamarquise et madame <strong>de</strong> Sérizy, qu’elles n’épargnèrent pasd<strong>ans</strong> leurs médisances. Les bizarres pressentiments quiavaient si souvent agité Julie se trouvaient tout à coup réalisés.En s’occupant d’Arthur, elle s’était <strong>com</strong>plu à croire qu’unhomme, en apparence si doux, si délicat, <strong>de</strong>vait être resté fidèleà son premier amour. Parfois elle s’était flattée d’être l’objet<strong>de</strong> cette belle passion, la passion pure et vraie d’un hommejeune, dont toutes les pensées appartiennent à sa bien-aimée,dont tous les moments lui sont consacrés, qui n’a point <strong>de</strong> détours,qui rougit <strong>de</strong> ce qui fait rougir une femme, pense <strong>com</strong>meune femme, ne lui donne point <strong>de</strong> rivales, et se livre à elle s<strong>ans</strong>songer à l’ambition, ni à la gloire, ni à la fortune. Elle avait rêvétout cela d’Arthur, par folie, par distraction ; puis tout àcoup elle crut voir son rêve ac<strong>com</strong>pli. Elle lut sur le visagepresque féminin du jeune anglais les pensées profon<strong>de</strong>s, lesmélancolies douces, les résignations douloureuses dont ellemêmeétait la victime. Elle se reconnut en lui. Le malheur et lamélancolie sont les interprètes les plus éloquents <strong>de</strong> l’amour,et correspon<strong>de</strong>nt entre <strong>de</strong>ux êtres souffrants avec une incroyablerapidité. <strong>La</strong> vue intime et l’intussusception <strong>de</strong>s chosesou <strong>de</strong>s idées sont chez eux <strong>com</strong>plètes et justes. Aussi la violencedu choc que reçut la marquise lui révéla-t-elle tous lesdangers <strong>de</strong> l’avenir.Trop heureuse <strong>de</strong> trouver un prétexte à son trouble d<strong>ans</strong> sonétat habituel <strong>de</strong> souffrance, elle se laissa volontiers accablerpar l’ingénieuse pitié <strong>de</strong> madame <strong>de</strong> Sérizy. L’interruption <strong>de</strong>la romance était un événement dont s’entretenaient assez diversementplusieurs personnes. Les unes déploraient le sort <strong>de</strong>Julie, et se plaignaient <strong>de</strong> ce qu’une femme si remarquable fût45
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moi, je ne connais maintenant rien
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jeunesse, un ciel pur, enfin toutes
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sourire de la marquise, qu’il imp
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vallée ? Vous me répondrez qu’a
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en s’apercevant qu’elle riait e
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fille, souvent impénétrables à l
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premier, trésor d’indulgence ; l
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Un homme se glissa sous le porche a
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ferai jamais le pourvoyeur de l’
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- Ma fille, dit alors le père abat
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sans qu’on pût savoir où était
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masquer en grand ; les boute-hors s
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tombaient, leurs grimaces, leur der
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de gens, et avait toute la saintet
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desquelles toute la vie se dresse,
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pour elle mille fois plus chère qu
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