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La Femme de trente ans - Lecteurs.com

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plus grands chênes <strong>de</strong> la montagne, nous contemplâmes labelle vallée que nous avions à nos pieds, et que nous y admirâmesles rayons du soleil couchant dont les reflets nous enveloppaient.Nous nous assîmes sur un quartier <strong>de</strong> roche, et tombâmesd<strong>ans</strong> un ravissement auquel succéda la plus douce mélancolie.Tu trouvas la première que ce soleil lointain nous parlaitd’avenir. Nous étions bien curieuses et bien folles alors !Te souviens-tu <strong>de</strong> toutes nos extravagances ? Nous nous embrassâmes<strong>com</strong>me <strong>de</strong>ux amants, disions-nous. Nous nous jurâmesque la première mariée <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>ux raconterait fidèlementà l’autre ces secrets d’hyménée, ces joies que nos âmesenfantines nous peignaient si délicieuses. Cette soirée fera tondésespoir, Louisa. D<strong>ans</strong> ce temps, tu étais jeune, belle, insouciante,sinon heureuse ; un mari te rendra, en peu <strong>de</strong> jours, ceque je suis déjà, lai<strong>de</strong>, souffrante et vieille. Te dire <strong>com</strong>bienj’étais fière, vaine et joyeuse d’épouser le colonel Victor d’Aiglemont,ce serait une folie ! Et même <strong>com</strong>ment te le dirai-je ?je ne me souviens plus <strong>de</strong> moi-même. En peu d’instants monenfance est <strong>de</strong>venue <strong>com</strong>me un songe. <strong>La</strong> contenance pendantla journée solennelle qui consacrait un lien dont l’étenduem’était cachée n’a pas été exempte <strong>de</strong> reproches. Mon père aplus d’une fois tâché <strong>de</strong> réprimer ma gaieté, car je témoignais<strong>de</strong>s joies qu’on trouvait inconvenantes, et mes discours révélaient<strong>de</strong> la malice, justement parce qu’ils étaient s<strong>ans</strong> malice.Je faisais mille enfantillages avec ce voile nuptial, avec cetterobe et ces fleurs. Restée seule, le soir, d<strong>ans</strong> la chambre oùj’avais été conduite avec apparat, je méditai quelque espiègleriepour intriguer Victor ; et, en attendant qu’il vînt, j’avais <strong>de</strong>spalpitations <strong>de</strong> cœur semblables à celles qui me saisissaientautrefois en ces jours solennels du 31 décembre, quand, s<strong>ans</strong>être aperçue, je me glissais d<strong>ans</strong> le salon où les étrennesétaient entassées. Lorsque mon mari entra, qu’il me chercha,le rire étouffé que je fis entendre sous les mousselines quim’enveloppaient a été le <strong>de</strong>rnier éclat <strong>de</strong> cette gaieté doucequi anima les jeux <strong>de</strong> notre enfance… » !Quand la douairière eut achevé <strong>de</strong> lire cette lettre, qui, <strong>com</strong>mençantainsi, <strong>de</strong>vait contenir <strong>de</strong> bien tristes observations, elleposa lentement ses lunettes sur la table, y remit aussitôt lalettre, et arrêta sur sa nièce <strong>de</strong>ux yeux verts dont le feu clairn’était pas encore affaibli par son âge.28

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