INFORMATION SCIENTIFIQUE<strong>Cancers</strong> <strong>familiaux</strong> <strong>et</strong> <strong>cancers</strong> héréditaires:indication des analyses d’ADN<strong>et</strong> place de la consultation de génétique(hérédo-oncologie)Marc Abramowicz, Génétique, Hôpital Erasme <strong>et</strong> <strong>Institut</strong> <strong>Jules</strong> Bord<strong>et</strong>marcabra@ulb.ac.beSi un patient présente un cancer héréditaire, comme la polypose adénomateuse parexemple, il y a 50% de risques que les enfants portent la même mutation. Le test génétiqueprésymptomatique peut être pratiqué chez chacun d’eux à condition que la mutationfamiliale soit préalablement identifiée chez le suj<strong>et</strong> malade. Marc Abramovitz nous expliquecomment approcher ces situations.Les analyses d’ADN perm<strong>et</strong>tent de déterminer,chez des suj<strong>et</strong>s asymptomatiques,le risque de développer au cours de sa viecertains <strong>cancers</strong>. De tels tests génétiquesprésymptomatiques, i.e. avant l’apparitiondes symptômes, ne se pratiquent pas(encore) d’emblée dans le cadre d’un dépistagegénéral. Il faut au préalable évaluer,sur base clinique, la probabilité d’une formehéréditaire de cancer en se basant sur l’histoirefamiliale étendue <strong>et</strong> la nature des tumeurschez les malades de la famille duconsultant <strong>et</strong> identifier la mutation responsablechez un apparenté malade.Voici quelques données générales relativesaux prédispositions génétiques aux <strong>cancers</strong>.Il faut distinguer les <strong>cancers</strong> <strong>familiaux</strong>des <strong>cancers</strong> héréditaires. Ces derniers sontune minorité. On estime que 5-10% des<strong>cancers</strong> du sein, comme 5-10% des <strong>cancers</strong>colo-rectaux <strong>et</strong> probablement une fractionsimilaire de n’importe quel type de cancer,résultent d’une prédisposition héréditaire,monogénique, c’est-à-dire causée par la mutationd’un seul gène. L’hérédité de c<strong>et</strong>teprédisposition sera donc simple, typiquementdominante autosomique.Les exemples classiques du rétinoblastomeou de la polypose adénomateuse illustrentbien ce concept. Un suj<strong>et</strong> porteur d’unemutation responsable de polypose adénomateuse(mutation héréditaire du gèneAPC) présentera un risque de cancer colorectal>99%, avec un âge médian de débutdes symptômes d’environ 40 ans. Les enfantsd’un tel patient auront chacun 50% de risquede porter la même mutation. Le testgénétique présymptomatique peut êtrepratiqué chez chacun d’eux à condition quela mutation familiale soit préalablementidentifiée chez le suj<strong>et</strong> malade. La moitiédes apparentés non porteurs de la mutationpourront ainsi éviter des colonoscopiesde surveillance itératives. L’autre moitiépourra bénéficier d’une chirurgie prophylactique.Sans que des études aient étémenées sur ce suj<strong>et</strong> dans notre population,il semble que des suj<strong>et</strong>s dont le risque esta priori de 50% pourraient être réticents àse soum<strong>et</strong>tre à une surveillance colonoscopique,alors qu’ils l’accepteraient pleinements’ils se savaient à risque >99% decancer colo-rectal précoce.“Il faut au préalable évaluer,sur base clinique, la probabilitéd’une forme héréditaire decancer en se basant sur l’histoirefamiliale étendue <strong>et</strong> la naturedes tumeurs chez les maladesde la famille”La polypose colique héréditaire (présencede plus de 100 polypes adénomateux synchrones)est assez facile à reconnaître <strong>et</strong>l’immense majorité des cas résulte de lamutation d’un même gène, APC (AdenomatousPolyposis Coli). Cependant, chaquefamille portera une mutation différente dece gène <strong>et</strong> la mise en évidence de c<strong>et</strong>te mutationdemande une étude systématiquedu gène, qui est longue <strong>et</strong> coûteuse. Unefraction encore importante des mutations(20-30%) échappe aux techniques d’analysede l’ADN : ceci explique pourquoi la mutationfamiliale doit d’abord être recherchée<strong>et</strong> identifiée chez le malade, avant de pouvoirproposer un conseil génétique avec testgénétique présymptomatique à ses enfants<strong>et</strong> neveux, sous peine de résultats faussementnégatifs.Toujours dans l’exemple du cancer colo-rectal,la polypose n’en représente que 1% descas. La forme dite non-polyposique de cancercolo-rectal héréditaire, HNPCC (HereditaryNon-Polyposis Colorectal Cancer), en représente5-10%.La difficulté sera de reconnaîtrede tels cas. En eff<strong>et</strong>, l’anatomie du côlon<strong>et</strong> l’histologie des tumeurs y sont banales.Contrairement à la polypose qui est presqu<strong>et</strong>oujours causée par le même gène APC, troisgènes différents peuvent causer l’HNPCC.De plus, la pénétrance en est incomplète,c’est-à-dire qu’une fraction des suj<strong>et</strong>s porteursde la mutation ne développera pas lecancer, ce qui peut masquer l’histoire familiale.Certains porteurs de la mutationfamiliale développeront au contraire des<strong>cancers</strong> d’autres sites (endomètre, ovaire,bassin<strong>et</strong> rénal, cerveau)…Vu le coût <strong>et</strong> la durée des analyses génétiques,qui sont encore alourdis ici par lefait que n’importe lequel des 3 gènes peutcauser c<strong>et</strong>te prédisposition (donc trois analysesgénétiques indépendantes à pratiquer),il est impossible de proposer l’analysed’emblée à tout nouveau cas de cancercolo-rectal.En pratique, deux types de critères, cliniques<strong>et</strong> biochimiques, peuvent guider l’indicationde l’analyse génétique. Les critèrescliniques, dits d’Amsterdam, évaluent laprobabilité d’une forme héréditaire dans lafamille : au moins trois apparentés atteints,sur au moins deux générations, dont au24 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°3 – SEPTEMBRE 2005ABORDET-IRIS — ERASME — WLLONIE — RESEAU CANCER
moins 1 âgé de moins de 50 ans au momentdu diagnostic de cancer invasif. D’autrescritères cliniques ont étés proposés. Unefois ces critères présents, il sera justifié depratiquer une prise de sang pour recherchede la mutation chez un suj<strong>et</strong> atteintde la famille considérée.Le critère biochimique se recherche dansla tumeur elle-même. Il se caractérise parun type particulier d’instabilité globale dugénome qui représente la voie de tumorigenès<strong>et</strong>ypique des tumeurs résultant dela prédisposition HNPCC : l’instabilité desmicrosatellites*. C<strong>et</strong>te analyse consiste àextraire l’ADN de la tumeur (prélèvementfrais !) <strong>et</strong> à le comparer à l’ADN leucocytairedu patient. Une approche immunohistochimiqueest également disponiblemais est un peu moins sensible.De nombreux autres types de prédispositionshéréditaires, monogéniques, du <strong>cancers</strong>ont reconnaissables : cancer héréditairedu sein <strong>et</strong> de l’ovaire (Breast CancerGene; BRCA), syndrome de néoplasieshéréditaires multiples (Multiple EndocrineNeoplasia; MEN), syndromes de Li-Fraumeni,de Cowden, de Peutz-Jeghers, …En pratique, la consultation d’hérédo-oncologieperm<strong>et</strong>tra de poser ou confirmerle diagnostic de tels syndromes héréditaires<strong>et</strong> de lancer l’analyse d’ADN adéquatechez les malades.Dans un second temps, la même unitéd’hérédo-oncologie pratiquera le conseilgénétique chez les apparentés asymptomatiquesà risque, selon la procédure résuméedans l’encadré ci-dessous.De nombreux cas de <strong>cancers</strong> sont <strong>familiaux</strong>(plus d’un cas dans une même famille) sansêtre héréditaires. Ils résultent d’une prédispositiongénétique réelle mais plus discrète,complexe <strong>et</strong> multigénique. Dans de tels cas,les risques pour la descendance des maladessont moindres que dans les formes véritablementhéréditaires <strong>et</strong> seront abordés defaçon empirique car les causes multigéniquesne sont pas encore accessibles auxanalyses génétiques de routine.La consultation de génétique (hérédooncologie)pourra bien entendu aider à distinguerces formes familiales des formeshéréditaires.■Patient asymptomatique avec antécédents <strong>familiaux</strong> de <strong>cancers</strong> :étapes de l’approche génétique1. Évaluer la probabilité de cancer héréditaire (histoire familiale, histologie des tumeurs, …) en consultation degénétique – hérédo-oncologie2. Si le cancer parait héréditaire : recherche de la mutation causale chez un apparenté malade, si possibleaprès conseil génétique chez ce dernier.3. Quand une mutation est identifiée : revoir le consultant asymptomatique en consultation de génétique.Proposer un test génétique. Confirmer sa demande <strong>et</strong> recueillir son consentement éclairé. Prélèvementsanguin (double). Suivi psychologique adéquat.4. Revoir le patient en consultation de génétique pour l’annonce du résultat. Suivi psychologique. Si la mutationest présente, référer le patient aux consultations adéquates pour m<strong>et</strong>tre en place une stratégie desurveillance du cancer.Glossaire*Instabilité microsatelliteEnviron 15% des <strong>cancers</strong> colo-rectauxprésentent une instabilité des séquencesmicrosatellites. Ce phénotype MSI(autrefois appelé RER pour ReplicationERror) est caractérisé par des altérationsde longueur des répétitions nucléotidiques,altérations acquises <strong>et</strong> touchantl’ensemble du génome. Il est dûà un défaut du système de détection<strong>et</strong> de réparation des mésappariements(système MMR pour MisMatch Repair)qui corrige les erreurs survenues lorsde la replication de l’ADN.Ce phénotype MSI est observé dansles syndromes HNPCC (Hereditary NonPolyposis Colon Cancer) mais égalementdans les <strong>cancers</strong> colo-rectauxsporadiques.JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°3 – SEPTEMBRE 200525ABORDET-IRIS — ERASME — WLLONIE — RESEAU CANCER