31.05.2016 Views

RAPPORT

iR3VBh

iR3VBh

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Droit à l’eau et industries extractives : la responsabilité des multinationales<br />

mais ils requièrent des quantités énormes d’eau pour séparer<br />

le bitume du sable. Pour chaque baril de pétrole extrait<br />

des gisements bitumineux, au moins 2,6 barils d’eau auront<br />

été extraits de rivières, de lacs ou d’aquifères locaux. Les<br />

opérations dites « in situ », qui utilisent de la vapeur pour<br />

séparer le pétrole du sable dans la terre et pomper ensuite le<br />

bitume à la surface, ont une consommation d’eau moindre,<br />

mais qui reste importante.<br />

La fracturation hydraulique est elle aussi gourmande en<br />

eau. En fonction de la géologie et de la profondeur requise,<br />

une seule fracturation peut nécessiter de mélanger jusqu’à<br />

60 000 mètres cube d’eau avec du sable et des produits<br />

chimiques toxiques avant de les injecter à haute pression<br />

dans les formations schisteuses durant la phase initiale,<br />

qui peut durer plusieurs jours. L’objectif est d’ébranler la<br />

roche pour libérer les poches de gaz naturel, de pétrole ou<br />

de condensats comme le benzène, le toluène, les xylènes<br />

et l’éthylbenzène. Une grande partie de ces gisements<br />

schisteux recèle aussi des quantités significatives de gaz<br />

carbonique, de sulfure d’hydrogène et, dans certains cas,<br />

de matériaux radioactifs, qui peuvent migrer à la surface<br />

durant le forage.<br />

UNE EXPLOITATION MODÈLE ?<br />

À Carmon Creek, Shell projette d’extraire le bitume au moyen<br />

d’une technologie appelé Steam Assisted Gravity Drainage<br />

(SAGD), ou « drainage gravitaire assisté par la vapeur ».<br />

Même si cette technologie requiert moins d’eau que les<br />

formes classiques d’extraction et que certaines technologies<br />

in situ, elle nécessite tout de même encore environ un<br />

demi baril d’eau pour chaque baril de pétrole. Shell annonce<br />

une production de 80 000 barils par jours à Carmon Creek.<br />

La stratégie de préservation des ressources en eau de Shell<br />

à Carmon Creek, a fière allure sur le papier. Lorsque Shell<br />

signa un contrat avec la multinationale française de l’eau<br />

Veolia en 2014, Antoine Frérot, PDG de cette dernière, annonça<br />

que l’eau récupérée du sous-sol en même temps que<br />

le pétrole serait traitée et réutilisée pour générer la vapeur<br />

destinée à être injectée dans le sol. Cette approche, affirma-t-il,<br />

permettra de maximiser le taux de recyclage de<br />

l’eau utilisée dans les procédés d’extraction, qui atteindra<br />

environ 99%.<br />

Shell et Veolia ne sont pas les seules entreprises du secteur<br />

à afficher des prétentions vertes de ce type. Selon l’Association<br />

canadienne des producteurs de pétrole, un lobby<br />

qui défend les intérêts de l’industrie pétrolière et gazière au<br />

Canada, le secteur des sables bitumineux recyclerait déjà<br />

de 80 à 95% de l’eau qu’il utilise…<br />

« LES CHOSES NE SE PASSENT PAS SUR LE TERRAIN COMME<br />

SUR LE PAPIER »<br />

Le scientifique canadien Karlis Muelenbachs, un géochimiste<br />

qui est un spécialiste reconnu de l’identification des empreintes<br />

carbones uniques ou isotopes des gaz de schiste et des autres<br />

gaz non conventionnels, estime que le public devrait être extrêmement<br />

prudent quant à la signification de telles déclarations.<br />

« On récupère très rarement plus de la moitié de l’eau utilisée pour<br />

l’injection de vapeur qui va dans ce qu’on appelle les ‘thief zones’<br />

– des formations souterraines fracturées, caverneuses et extrêmement<br />

perméables », explique-t-il.<br />

« Est-ce qu’elles (Shell et Veolia) prétendent, par exemple, qu’elles<br />

peuvent récupérer 99% de toute l’eau injectée dans le sol ? Ou bien<br />

s’agit-il de 99% de l’eau qui revient à la surface avec le bitume (sans<br />

tenir compte de l’eau perdue dans les ‘thief zones’, des pertes,<br />

etc.) ? Ou bien est-ce 99% de toute l’eau utilisée sur le site (de<br />

surface et souterraine) ? … Je ne connais pas les détails du projet,<br />

mais un taux de récupération et de recyclage de l’eau de 99% pour<br />

une exploitation d’injection de vapeur paraît impossible. »<br />

Bill Donahue est avocat, chercheur, et directeur des études<br />

scientifiques et des affaires réglementaires au sein de Water<br />

Matters, une organisation non gouvernementale indépendante<br />

dotée de l’expertise et des ressources nécessaires pour s’attaquer<br />

aux questions de gestion des ressources hydrographiques<br />

en Alberta.<br />

Avec sa collègue Julia Ko, il est l’auteur d’un rapport récent<br />

qui met en cause les déclarations officielles des entreprises<br />

de sables bitumineux sur leur consommation réelle d’eau et<br />

leur taux de recyclage.<br />

« Dans de nombreux cas, elles prétendent recycler jusqu’à 95% de<br />

l’eau qu’elles utilisent, explique Donahue. Mais le calcul de ces<br />

taux de recyclage est basé sur la quantité d’eau non saline utilisée<br />

(autrement dit de l’eau douce de qualité similaire à celle que l’on<br />

trouve dans les lacs et les rivières), et ne tient pas compte de la<br />

quantité d’eau saline utilisée en mélange avec de l’eau douce. »<br />

« UNE ENTREPRISE PEUT SIMPLEMENT DÉCIDER<br />

DE CHANGER D’AVIS »<br />

Un autre problème, ajoute-t-il, est que le pompage d’eau<br />

souterraine saline par des entreprises comme Shell pour<br />

produire de la vapeur reste largement non régulé, et que<br />

l’utilisation de ces eaux pour l’exploitation des sables bitumineux<br />

n’est pas mesurée.<br />

« Des opérations ’in situ’ peuvent accroître leur production en<br />

utilisant des quantités importantes d’eaux salines qui ne sont ni<br />

47

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!