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RAPPORT

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Observatoire des multinationales<br />

mi les causes possibles de l’apparition de ces deux classes<br />

de substances chimiques, potentiellement toxiques, dans<br />

l’eau 3 . En 2010, le département de l’eau de Pittsburgh, en<br />

Pennsylvanie, à une centaine de kilomètres de Youngstown,<br />

avait ainsi constaté une augmentation anormale des THM<br />

dans son eau. Les experts mandatés ont fini par identifier la<br />

source du problème : des stations de traitement recevaient<br />

des eaux usées issues de la fracturation hydraulique sans<br />

posséder les équipements nécessaires pour les dépolluer<br />

adéquatement, et les rejetaient ensuite dans l’Alleghany et<br />

les autres rivières dont Pittsburgh tire son eau potable. Cette<br />

eau contenait également des particules radioactives, comme<br />

du radium, largement au-delà des seuils de sécurité 4 .<br />

PRIVATISATION DE L’EAU<br />

La pollution n’est pourtant pas le seul risque induit par l’industrie<br />

du schiste pour les ressources en eau. Les prélèvements<br />

massifs d’eau en vue de la fracturation hydraulique constituent<br />

eux aussi une menace, peut-être encore plus sérieuse 5 .<br />

Selon une étude de l’US Geological Survey, le forage d’un<br />

puits par fracturation hydraulique aux États-Unis a nécessité,<br />

en moyenne, entre 15 millions et 19 millions de litres de<br />

d’eau entre 2000 et 2014. Dans certains gisements de gaz<br />

de schiste, dont celui d’Utica, la consommation moyenne<br />

d’eau d’un puits peut s’élever jusqu’à 40 millions de litres.<br />

Globalement, la consommation d’eau de l’industrie du gaz de<br />

schiste ne représente en général qu’une proportion modeste des<br />

ressources en eau disponibles. Mais localement, ou en cas d’année<br />

sèche, la soif d’eau des firmes pétrolières peut rapidement<br />

se révéler exorbitante. C’est d’ailleurs pourquoi le secteur privé<br />

de l’eau américain – qui inclut les filiales locales des françaises<br />

Veolia et Suez environnement (United Water) – s’intéresse de<br />

très près au gaz de schiste. D’un côté, ces firmes peuvent être<br />

impliquées dans la vente d’eau brute à l’industrie pétrolière pour<br />

ses opérations de forage ; de l’autre, elles lorgnent le marché du<br />

traitement et du recyclage de leurs eaux usées 6 . L’expansion de<br />

l’industrie du schiste peut également favoriser indirectement les<br />

intérêts des opérateurs privés de l’eau, en encourageant ou en<br />

forçant les collectivités à recourir à leurs services pour assurer<br />

leur approvisionnement en eau potable.<br />

La ville de Dimock, en Pennsylvanie, en a fait l’amère expérience.<br />

Une partie de son eau potable a été polluée par les opérations de<br />

fracturation hydraulique de la firme Cabot Oil. Selon Emily Wurth,<br />

de l’ONG américaine Food and Water Watch, l’État de Pennsylvanie<br />

a alors choisi de financer une conduite d’eau spéciale venant<br />

de l’extérieur pour les résidents dont l’eau s’était trouvée contaminée.<br />

Principal bénéficiaire de cette opération d’un budget total<br />

de 12 millions de dollars ? L’entreprise privée American Water,<br />

qui s’est vue confier la construction et la maintenance de cette<br />

conduite. Ailleurs dans le même État, ce sont les résidents d’un<br />

parc de mobil homes qui se sont fait tout simplement expulser<br />

par une autre firme, Aqua America, qui voulait installer sur leur<br />

terrain ses équipements pour pomper l’eau d’une rivière voisine<br />

en vue de la vendre à des compagnies pétrolières 7 .<br />

« IL SUFFIT D’UNE MAUVAISE ANNÉE POUR DÉTRUIRE TOUT<br />

UN ÉCOSYSTÈME »<br />

À une échelle supérieure, certaines villes du Texas ont même vu<br />

leurs sources d’eau se tarir, asséchées pour apaiser la soif du<br />

gaz de schiste. La ville de Barnhart, par exemple, s’est trouvée<br />

obligée, durant une période de sécheresse en 2013, de s’approvisionner<br />

en eau potable au moyen de camions citernes.<br />

Certes, l’Ohio n’est pas le Texas. Une ville de l’État s’est pourtant<br />

déjà retrouvée poursuivie devant les tribunaux par une<br />

compagnie pétrolière à qui elle avait vendu une partie de son<br />

eau, pour avoir réduit son approvisionnement en période sèche<br />

et pour avoir conclu un contrat similaire avec une autre firme.<br />

Et selon une cartographie réalisée par l’organisation américaine<br />

d’investisseurs responsables Ceres, qui compare le taux<br />

d’utilisation des ressources en eau et la localisation des opérations<br />

de fracturation hydraulique, la région de Youngstown est<br />

marquée en rouge, avec un niveau de stress hydrique « élevé ».<br />

Ce qui suggère une vulnérabilité plus importante que l’on ne<br />

le suppose localement. Or, entre les extractions d’eau et la<br />

pollution issue de la fracturation hydraulique et de l’injection<br />

des eaux usées, les écosystèmes aquatiques de l’Ohio sont<br />

soumis à rude épreuve. Les conséquences pour la vie sauvage<br />

et l’eau potable pourraient s’avérer incalculables. « Une fois<br />

qu’un écosystème est touché, il est foutu, explique Ted Auch,<br />

de l’organisation FracTracker. Il suffit d’une mauvaise année<br />

particulièrement sèche pour détruire tout un écosystème. »<br />

[1] Voir par exemple http://www.theguardian.com/environment/2014/<br />

sep/15/drinking-water-contaminated-by-shale-gas-boom-in-texas-andpennslyvania-study<br />

[2] Voir http://www.protectyoungstown.org/uploads/1/2/4/0/124 04661/<br />

sciencetriahalo.pdf.<br />

[3] Les THM et les AHA sont des composés chimiques qui se forment typiquement<br />

après le traitement d’eaux usées ou d’eau brute par des procédés<br />

tels que la chloration ou l’ozonation, notamment lorsque ces eaux présentent<br />

une forte teneur en bromures et en iodures, comme c’est le cas des<br />

eaux usées fortement salinisées issues de la fracturation hydraulique.<br />

[4] Après la révélation de ces problèmes dans un article mémorable du<br />

New York Times http://www.nytimes.com/2011/02/27/us/27gas.html?pagewanted=all),<br />

les firmes qui exploitent le gaz de schiste de Pennsylvanie<br />

ont globalement renoncé à faire appel à des stations de traitement<br />

locales pour disposer de leurs eaux usées : elles les envoient dans l’Ohio,<br />

comme on le verra dans le troisième volet de cette enquête.<br />

[5] Voir en anglais la récente synthèse de TruthOut. http://www.truth-out.<br />

org/news/item/33136-after-the-frack-hydraulic-fracturing-s-intense-thirst<br />

[6] Voir ces deux articles récents de Food and Water Watch: http://www.<br />

foodandwaterwatch.org/insight/beware-water-industry-thinks-water-pollution-good-business<br />

et http://www.foodandwaterwatch.org/insight/private-water-and-fracking-dubious-duo<br />

[7] Voir http://blogs.mediapart.fr/blog/iris-deroeux/070812/frack-attack-en-pennsylvanie<br />

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