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L’élégance et la beauté du ballet dissimulent<br />
des corps meurtris, des muscles endoloris<br />
de la souffrance et de la pression. Mais au<br />
Royal Ballet de Londres, les choses évoluent,<br />
grâce à une nouvelle génération de danseurs.<br />
La science du sport renforce leurs corps et<br />
leurs esprits – propulsant leur art dans le futur.<br />
Quand Gemma Pitchley-Gale<br />
n’est pas chaussée de ses<br />
pointes roses, en pleine<br />
séance de pirouettes à la<br />
Royal Opera House, le fief<br />
londonien du célébrissime<br />
Royal Ballet, elle est souvent<br />
en train de soulever des haltères<br />
en fonte à la salle de<br />
sport. Malgré un physique menu, la danseuse a<br />
déjà réussi à soulever 97 kg – plus du double de<br />
son propre poids, 47 kg.<br />
« Les gens s’imaginent qu’on passe nos journées<br />
à virevolter en studio, qu’on est maigre,<br />
fragile et qu’on ne mange rien, s’amuse la jeune<br />
femme originaire du sud de Londres. Alors quand<br />
ils voient tout ce dont on est capables, ils n’en<br />
reviennent pas. » Sa collègue, Claire Calvert, qui a<br />
interprété la fée Dragée dans Casse-Noisette, a<br />
elle-même établi un record perso de 99 kg en<br />
squat. Les danseurs masculins de la compagnie ne<br />
sont pas en reste. William Bracewell peut soulever<br />
ses 75 kg en enchaînant 45 extensions de mollets.<br />
À chaque entraînement quotidien, Alexander<br />
Campbell soulève en cumulé un poids total de<br />
3 655 kg, soit à peu près le poids d’un Ford Transit<br />
chargé. Et Matthew Ball peut supporter l’équivalent<br />
de quatre fois son poids en effectuant un<br />
squat statique sur une seule jambe. « J’ai montré à<br />
mes parents une vidéo de moi en train de soulever<br />
des poids et ils m’ont dit : “Mais tu as le droit de<br />
faire ça ?”, raconte le jeune homme de 26 ans avec<br />
le sourire. Le truc, c’est que quand j’atterris après<br />
un grand saut, j’ai l’équivalent de 500 kg de force<br />
qui passe dans mes jambes, donc il faut bien que<br />
je m’entraîne pour. »<br />
Si les danseurs d’aujourd’hui passent tant de<br />
temps à la salle de sport, c’est pour une raison :<br />
le ballet est un univers magnifique, mais aussi<br />
brutal, fait de muscles endoloris et d’épuisement<br />
intense. Pour maîtriser le sublime jeu de pieds de<br />
ballets emblématiques comme le Lac des cygnes,<br />
Cendrillon ou encore Roméo et Juliette, ces<br />
artistes peuvent enchaîner jusqu’à six heures de<br />
répétitions complexes par jour et parfois quatre<br />
représentations en public par semaine. Sur le<br />
plan physique, le prix à payer est immense : les<br />
danseurs du Royal Ballet – qui sont une centaine,<br />
et dont les pieds meurtris sont gravement esquintés<br />
par les ampoules, ongles noircis, coupures,<br />
contusions et autres déformations – consomment<br />
en moyenne 12 000 chaussons par an. Avec une<br />
moyenne de 6,8 blessures par an, de l’entorse du<br />
pied à la déchirure musculaire, le taux de blessures<br />
des danseurs est comparable à celui des<br />
joueurs de football américain.<br />
« Le matin au réveil, on ressent un mélange<br />
de courbatures, de douleurs et de craquements,<br />
en gros », explique Gemma Pitchley-Gale en<br />
riant. Après 75 minutes d’échauffement, les<br />
choses sérieuses commencent. « Il nous arrive de<br />
répéter de midi à 18 h 30 sans faire de pause ou<br />
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