Présence 2019 09

8 PRÉSENCE N o 7 SEPTEMBRE 2019 LE JEÛNE
LE JEÛNE PRÉSENCE N o 7 SEPTEMBRE 2019 9
– Une longue tradition populaire
PAR BERNARD BOULENS
Avec le mois de septembre
reviennent les traditionnels
jours de Jeûne officiels, le Jeûne
Fédéral et le Jeûne Genevois.
Mais d’où viennent ces célébrations
?
Ainsi qu’il est régulièrement rappelé
dans le cadre de notre traditionnel
dossier sur la Campagne
de Carême en début d’année, des
groupes se réunissent fréquemment
durant cette période pour
observer une semaine de Jeûne,
de méditations et de partage.
Le Jeûne est une tradition ancrée
dans la Bible. L’Ancien Testament
nous apprend que c’est un
principe institué par le peuple
d’Israël pour fortifier sa relation
avec Dieu et obtenir son appui
lors d’une épreuve, une guerre
ou une famine. Dans le Nouveau
Testament, le ministère de Jésus
commence par un Jeûne de quarante
jours dans le désert.
Ce Jeûne dans le désert, après un
baptême dans l’eau, rappelle en
parallèle le livre de l’Exode, dans
La Tentation du Christ sur la montagne
Ducio di Buoninsegna (vers 1310), The Frick Collection – New-York.
Duccio di Buoninsegna (Sienne vers 1255-1260 – vers 1318-1319) fut en son temps le
plus grand peintre siennois ; son importance se mesure même à l’échelle européenne.
On considère généralement que son influence fut déterminante dans l’évolution du style
gothique international ; elle s’exerça en particulier sur Simone Martini et les deux frères
Ambrogio et Pietro Lorenzetti. (Wikipédia)
lequel les Hébreux voyagent
pendant quarante ans dans le
désert après avoir traversé la
mer Rouge.
Le nombre de quarante jours est
également la durée du Déluge
pendant lequel l’arche de Noé
flotte sur les eaux, dans le livre
de la Genèse.
Plus près de nous, la tradition du
Jeûne remonte à la fin du Moyen-
Âge. Dans certaines circonstances,
les autorités, politiques
ou religieuses, ordonnent des
journées de Jeûne pour diverses
raisons : guerres ou menaces de
conflits, maladies et épidémies,
catastrophes naturelles.
Ainsi, on observe des jours de
Jeûne à l’occasion de périodes
de famine à Zurich en 1571, des
épidémies de peste à Berne en
1565 et 1577 ou encore à Genève
en 1611. Les magistrats genevois
publient un Jeûne à l’occasion
de la peste en disant : « On est
par trop froid à servir Dieu ».
À Genève toujours, un Jeûne
est célébré après le massacre de
la Saint-Barthélemy le 24 août
1572 et après l’Escalade le 12
décembre 1602.
Mais avant qu’une date officielle
ne soit décidée pour un Jeûne,
qu’il soit Fédéral ou Genevois,
beaucoup d’eau va encore passer
sous les ponts.
Le Jeûne Fédéral
Ainsi donc, héritiers de ces traditions
issues du haut Moyen-Âge,
des jours de Jeûne et de pénitence
sont ordonnés par les autorités,
mais en ordre assez disparate. Ils
sont accompagnés de processions
et de pèlerinages.
Après l’adoption de la Réforme
dans les cantons de Zürich,
Berne ou Genève notamment, il
faut quelques temps pour que la
tradition du Jeûne reprenne. Peu
à peu, on augmenta ces journées.
C’est ainsi qu’à Berne, en 1577,
les autorités décrétèrent que le
jeudi serait jour de Jeûne hebdomadaire.
Lors de ces jours de
pénitence, on en vint aussi à réduire
les repas au strict minimum.
Jusqu’à une certaine heure de la
journée, il était interdit de boire et
de manger et les auberges étaient
fermées.
C’est de là que vient la tradition
de la tarte aux pruneaux, dont
les premières mentions dans des
ouvrages de cuisine viennent de
Suisse alémanique vers 1624. En
Alsace où les tartes aux quetsches
sont très répandues, les premières
traces écrites datent du
début du XVI e siècle. En Suisse
romande, la première recette
connue est publiée dans « La cuisinière
genevoise » en 1619.
Mais les jours de Jeûne ont aussi
été l’occasion de célébrer des
fêtes de reconnaissance et de
repentance, par exemple dans
les cantons réformés à l’occasion
de la victoire du Gustave II
de Suède à Lützen en 1632 ou en
1639 pour remercier Dieu de leur
avoir épargné les horreurs de la
Guerre de Trente Ans (1619 –
1639). C’est le 2 novembre 1619
que les cantons réformés ont
une première journée de Jeûne
en commun.
Un jour de Jeûne annuel est
décrété par la diète protestante
en 1639. Il est accompagné de
collectes en faveur des coreligionnaires
persécutés à l’étranger,
notamment en France.
L’Église catholique décrète également
un jour de Jeûne annuel
en 1643. Mais les divergences
confessionnelles ne permettent
pas d’avoir ce jour en commun.
La création du Jeûne Fédéral est
étroitement liée à la naissance
de l’État fédéral moderne. Le
premier Jeûne Fédéral est célébré
le 8 septembre 1796.
En 1817, les protestants choisissent
le second jeudi de
septembre et les catholiques le
dimanche suivant.
C’est sur la proposition du canton
d’Argovie que la Diète Fédérale
décrète, le premier août 1832,
que le Jeûne Fédéral se tiendrait
désormais le troisième dimanche
de septembre. Cette décision était
valable pour tous les cantons.
Mais, ensuite, la Suisse va vivre un
évènement qui va profondément
changer la situation politique du
pays : la guerre du Sonderbund.
Elle dure 26 jours et se solde par
130 morts et 400 blessés. Ce grave
évènement va conduire à l’adoption
de la nouvelle Constitution
Suisse en 1848, qui, avec plusieurs
adaptation restera en vigueur
jusqu’à la nouvelle constitution
de 1999.
Et c’est là que le Jeûne Fédéral
prend toute son importance. En
parvenant à réunir les différentes
confessions sur un seul et même
jour de pénitence et d’action de
grâce, il favorise la paix relieuse
et sociale qui reposait encore sur
des bases fragiles.
Feuille commémorative de l’entrée en vigueur de la Constitution le 12 septembre 1848.
Lithographie de C. Studer. – Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne