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Maciek Buraczynski, l’artisan des premières voies historiques<br />
de Makatea en 2018. Venu pour une formation aux<br />
travaux en hauteur sur l’île avec sa société Acropol, il n’a<br />
pas résisté à son calcaire royal.<br />
Julien Mai, maire de Makatea depuis 24 ans, devant<br />
les vestiges des installations minières ensevelies par la<br />
végétation. Pour lui, l’histoire du phosphate à Makatea<br />
n’est pas terminée. Et la reprise de l’extraction serait<br />
complémentaire des activités vertes.<br />
protection de la tortue marine à Makatea, Elie Poroi et la<br />
militante écologiste Dany Pittman estiment avoir payé le<br />
prix fort dans leur chair et celle de leurs aînés. Sylvanna :<br />
« On sait par expérience qu’un projet minier n’apporte<br />
à terme que de la destruction. Or, il y a des alternatives<br />
à l’extraction : Makatea peut devenir le grenier maraîcher<br />
des atolls voisins, Rangiroa, Tikehau et Tiputa !<br />
Nous avons tout ce qu’il faut ici pour faire de Makatea<br />
un vrai lieu de développement durable, un circuit court<br />
qui nourrirait sainement 3 000 personnes. Ici, la<br />
moyenne d’âge est d’une trentaine d’années, ce sont<br />
des jeunes sans emploi, que l’on pourrait former, ils<br />
veulent juste un travail. Dans nos jardins, tout pousse<br />
à profusion grâce au phosphate, formidable engrais :<br />
tubercules, fruits, légumes, nous avons aussi l’arbre<br />
à pain, le coprah, le crabe, le poisson, le gibier… On<br />
pourrait imaginer créer un arboretum, une pépinière<br />
pour faire renaître une flore qui n’existe plus, planter<br />
des bambous dans la zone trouée pour produire des<br />
matériaux de construction. Dans les puits moins profonds,<br />
on peut apporter d’autres espèces ou les multiplier,<br />
comme le kava. Il y a tant de possibilités… Cela<br />
peut aller très vite, en un an, si l’on met en place un<br />
transfert des marchandises par bateau. Il faut stopper<br />
une autre ère de désolation qui a apporté du bonheur<br />
à une élite et de la souffrance à tous les autres… »<br />
Chaos lunaire<br />
Pour témoigner de l’ère phosphate, qui a boosté<br />
l’économie mais abîmé les hommes, Sylvanna nous<br />
emmène au cimetière communal, mangé lui aussi,<br />
comme un autre vestige, par la végétation. Il parle<br />
d’une autre histoire, devenue taboue au fil des ans.<br />
Régulièrement, la militante se rend sur la tombe de sa<br />
petite sœur, décédée à six mois en 1965. « Cette annéelà,<br />
un enfant par jour mourait. Déjà, en 1960, sur 130<br />
bébés, 30 étaient décédés ! À l’époque, les autorités ont<br />
mis ça sur le compte d’une épidémie de diarrhée… »<br />
De cette série de décès suspects, jamais élucidés, d’autant<br />
que les archives de la CFPO ont été brûlées par<br />
les militaires, les soupçons se portent sur la poussière,<br />
si volatile, du phosphate charrié dans des wagonnets<br />
à ciel ouvert. « Certains jours, se souvient Sylvanna,<br />
il y avait tellement de poussière qu’on devinait à peine<br />
le village… » Elie Poroi, qui a aussi failli en mourir<br />
enfant, évoque la tuberculose récurrente et ces cancers<br />
tuant des jeunes gens en pleine forme. Et montre ces<br />
statistiques consignées dans un ouvrage médical, qui<br />
dénombrent des centaines de traumatismes crâniens,<br />
de bras et de jambes cassés dont ont été victimes les<br />
ouvriers lors de l’extraction.<br />
Pour se rendre compte par soi-même du relief accidenté<br />
du lieu, il faut aller au pot hole, le tiers de l’île<br />
poinçonné en son sein. C’est là que les puits naturels<br />
jadis gorgés de phosphate ont été intégralement vidés.<br />
Le plus profond fait quarante mètres. Les images<br />
d’époque visionnées chez le maire reviennent alors<br />
en mémoire : celles d’hommes-termites allant et venant<br />
sans cesse dans une sorte de fourmilière coloniale,<br />
sur des passerelles branlantes. « C’était du travail de<br />
bagnard : plus on transportait de brouettes, plus on<br />
Nina Caprez, grimpeuse<br />
suisse et star<br />
internationale de la<br />
grimpe, a dédié 6<br />
mois de sa vie au<br />
projet Makatea.<br />
Bilan : une vingtaine<br />
de grimpeurs du<br />
monde entier et<br />
l’équipement d’une<br />
centaine de voies.<br />
Heitapu Mai, président<br />
de Makatea<br />
Escalade, déroule<br />
le potentiel outdoor<br />
de l’île : « Randonnées<br />
à pied et à<br />
vélo, spéléologie<br />
dans nos grottes<br />
d’eau douce, via<br />
ferrata, parcours<br />
de vire au-dessus<br />
des vagues, plongée<br />
sous-marine<br />
et snorkeling… »<br />
62 THE RED BULLETIN