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Ineffable Magazine n°11

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b. La terre et le sang de Mouloud Feraoun :

« La maison de Kamouma était pleine de monde.

Le défilé des visiteurs avait commencé dès

l’arrivée du corps. Des gens venaient dire une

parole de réconfort à Kamouma et à Madame,

s’approchaient à tour de rôle du mort, se tenaient

un moment sur le seuil puis cédaient leur place à

d’autres ».

La mort n’est pas un événement banal, un être

disparaît et laisse derrière lui un vide énorme dans

la vie de ceux qui l’entouraient. Par respect au

défunt et à ses proches, les gens qui le connaissent

de près ou de loin viennent apporter leur soutien

aux vivants, c’est un certain appui qu’on leur offre

pour faire face à l’épreuve de la mort.

« Hemama se trouvait dans le lot des femmes

qui se lamentaient et ses cris dominaient tous

les autres. Chaque fois, elle donnait le signal. Elle

choisissait son moment pour crier, les autres

suivaient. Elle guettait les entrées, puis quand

un groupe important obstruait la porte, elle les

assourdissait de son bruyant désespoir ».

Lors des enterrements en Algérie, les femmes sont

les premières à montrer l’étendu de la tragédie:

cris, évanouissements, chaudes larmes. C’est

digne d’une tragédie Racinienne. Les femmes

adorent faire dans l’hyperbole, exagérer est un

don. Bien que les plus proches soient vraiment

touchées, les autres ne font que suivre le rythme

pour accentuer la lourdeur d’un événement

naturel qui se répète.

La terre et le sang est un roman riche en émotions

et en tragédies, la mort et les liens familiaux

prennent le dessus tout au long du récit.

c. Les enfants du nouveau monde d’Assia Djebar :

Assia Djebar est l’une des rares écrivaines

algériennes qui a su décrire totalement les mœurs

des femmes dans toute leur splendeur ! Elle est

allée au fin fond des choses, pour conter le monde

des femmes, leur intimité sublime.

« On avait emporté le corps de la vieille Aicha

le lendemain de sa mort, à la fin de la matinée:

cérémonie brève, récitations de prières, puis

quatre hommes sortis les premiers de la maison

avec sur leurs épaules le cercueil, ou plutôt

une planche large de bois poli sur lequel gisait,

enveloppé de linge blanc, le corps ».

Ce passage est riche en informations : les

personnes qui soulèvent le corps, l’objet sur lequel

il est transporté, mais également le drap blanc

dans lequel est enveloppé le corps du défunt. Cela

pourrait sembler inintéressant, mais c’est toute

une tradition religieuse qui se cache derrière, ce

n’est pas un récit romanesque courant, mais une

description des mœurs à travers des personnages

banales qui pourraient être vous et moi.

« […] Mais Amna avait besoin d’aller jusqu’au

fond de son chagrin pour en éprouver ensuite

un soulagement animal. Elle gémissait, sortait un

large mouchoir, éternuait dans ce drap. Et les deux

mioches effarés pendus toujours aux frusques de

leur mère, se mettaient en chœur à s’écrier, à

hoqueter… ».

Le deuil ne se manifeste jamais de la même

manière chez les deux sexes opposés ; les hommes

essayent de garder leur virilité contrairement aux

femmes qui ressentent le besoin de crier et de

faire part de leur douleur (aussi légère soit-elle)

pour avoir quelqu’un qui l’épaule. Nous avons,

d’ailleurs, vu cela dans les romans cités plus haut.

Les romans phares de notre littérature ne sont

pas seulement les enfants blafards enfouis sous

terre et déterrés sous forme de mots, ils sont

également ces racines tant redoutées, ces arbres

que l’on ampute, mais qui reviennent encore plus

forts, plus beaux et donnent fruit à l’imaginaire

grandiose de nos écrivains qui ont su jumeler

entre réalité et fiction pour nous offrir la plus

belle fresque du monde.

La mort n’est pas une fin en soi, voyez-vous ? Nos

auteurs sont poussière et pourtant leurs esprits

ne cessent d’errer dans notre monde en quête de

cette liberté tant chérie et leurs voix ne cessent

de répandre leurs échos dans une terre fièrement

libre. Laisser sa trace, apporter quelque chose à

ce monde, c’est l’apparition après l’effacement.

Couverture du livre la terre et le sang Mouloud Feraoun

Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable

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