Ineffable Magazine n°11
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Le problème de cette définition est que le
tamazight, considéré donc comme une langue,
ne se limite absolument pas au standard et n'est
absolument pas uniforme. Et les parlers que l'on
considère parfois comme étant des dialectes ont
en fait une orthographe normée. Le tamasheq
et le mozabite, par exemple, possèdent des
orthographes normées et des dictionnaires, ils
ont même des structures dans lesquelles ils sont
enseignés. Ce qui implique que leurs grammaires
ont été codifiées ou au moins décrites. Bref, tout
cela pour dire que ce critère est contestable.
On affirme que le dialecte est le descendant
d'une langue. À ce propos, il est nécessaire
de comprendre une chose fondamentale, les
dialectes d'une langue sont parfois, et même
souvent, les langues sœurs de leurs standards
et pas leurs langues filles. C'est parfois même le
contraire. Ainsi, le kabyle n'est pas la langue mère
du chaoui ou du targuie. Le kabyle en est une
langue sœur, puisqu'il est en réalité lui-même issu
d'un dialecte autrefois parlé en grande Kabylie.
Ce dialecte a juste eu plus de succès sur le plan
politique et social. C'était la langue des gens qui
réclamaient le tamazight. Cela pour conclure que
ce critère est peu recevable.
On affirme également que la différence entre un
dialecte et une langue a rapport avec l'étendue
géographique ou le nombre de locuteurs.
Personnellement, j'aurai tendance à dire que
ce critère est complètement erroné. Je vous
explique pourquoi: l’arabe algérien est parlé
par au moins 35 millions de personnes. Il est
considéré comme un dialecte issu de la langue
arabe, et cela, par ses locuteurs eux-mêmes.
L'aire de l'arabe algérien couvre, en gros, la moitié
de l’Algérie, soit 1 150 000 km 2 . Le Finnois est
parlé par 5 millions de personnes, il est considéré
comme une langue. Et on considère, en gros, que
la langue occupe tout le territoire finlandais, soit,
en gros, 340 000 km 2 . Donc, on a une langue qui
a trois fois moins de territoire et cinq fois moins
de locuteurs qu'un dialecte. Donc, ce critère n'est
vraiment pas recevable.
rendre compte de l’immensité du patrimoine. Ce
fait nous oblige à évoquer la tradition orale, car
le patrimoine ne doit pas forcément être écrit. À
cela, il faut ajouter les écrits en dialectes qui sont
légion.
Tout cela pourrait permettre d'expliquer
pourquoi certaines langues très proches doivent
être considérées comme deux langues à part, et
pas comme deux dialectes d'une même langue,
comme le Catalan et le Castillan. Le problème,
si on se réfère à ce critère, est qu'il est très
subjectif! De fait, quand est-ce que l’on doit
considérer qu'un dialecte a assez de patrimoine
pour devenir une langue ? Le dialecte en lui-même
étant une forme de patrimoine, cela ne justifie-t-il
pas le fait que ce soit une langue ? En définitive,
c'est un critère qui est très intéressant mais trop
subjectif pour véritablement départager une
langue d'un dialecte. L’inter-compréhension est
la clé : deux locuteurs qui parlent deux langues
différentes, mais qui se comprennent, parlent
en fait deux dialectes d'une même langue. Par
exemple, un chleuh et un kabyle peuvent se
comprendre, mais leurs langues sont différentes.
On considère donc que «tachelhit» et «thaqvaylit»
sont respectivement deux dialectes du berbère.
Le problème, c'est que si on prend les exemples
précédents, un Slovaque comprend un tchèque,
un ukrainien comprendra un russe, un danois et un
suédois se comprendront mutuellement. Mais de
quelle langue, alors, sont issus leurs dialectes ? Si on
prend la frontière germano-néerlandaise, les gens
qui habitent de chaque côté de la frontière se
comprennent sans problème, mais les néerlandais
considèreront qu'ils parlent néerlandais, et les
Allemands considéreront qu'ils parlent allemand.
Finalement, ils parlent en fait sûrement chacun
un parler qui est au moins aussi proche de l'un
et de l'autre. L’inter-compréhension est donc un
critère intéressant, mais qui n'est absolument pas
applicable dans certaines situations.
La langue a une littérature, contrairement au
dialecte, explique-t-on. Selon ce critère, un
dialecte devient donc une langue lorsqu’il a un
patrimoine. Alors, encore une fois, pourquoi pas?
Mais on part du principe que le dialecte n'a pas
de patrimoine, ce qui n'est pas vrai. Il n’y a qu’à
écouter, entre autre, le nombre incroyable de
chansons locales et poèmes populaires pour se
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