Ineffable Magazine n°11
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Nous avons longuement hésité avant de
faire ce voyage, mon amie et moi. Nous
voulions être loin de tout, et avons vu
en cela l’occasion parfaite : le chantier
de réhabilitation d’un Ksar traditionnel (Agham
Elqabli) au niveau de la ville de Talmine, à 100
km de Timimoun dans le cadre des ateliers du
CAPTERRE. Nous nous ruions tout droit vers
l’inconnu.
L’avion atterrit et, en moins de 2h, nous sommes
passées de la dense capitale au doux désert du
Sahara.
Une fois arrivées à destination, le calme nous
submerge, il ne nous faut que quelques minutes
pour nous adapter. Très vite, nous avons fait la
connaissance des charmantes personnes qui
allaient nous accueillir, ainsi que des gens venus
des quatre coins du pays qui allaient être à nos
côtés pendant le séjour !
Dès lors, nous sûmes que, loin des artifices que
proposent certaines agences de tourisme hors
de prix, nous allions passer une semaine riche en
authenticité.
Nos journées, nous les passions au chantier, sous
la chaleur supportable d’un mois d’Octobre qui ne
faisait que commencer, à toucher, malaxer, manier
et manipuler l’argile et le sable de nos mains, de
nos pieds et parfois de tout notre corps. Nos
empreintes se fixaient sur la chose, multipliant
notre désir d’avancer au maximum et de faire un
travail correct et digne, pour réhabiliter ce lieu
ancestral, quasiment enfoui sous le sable, qui
d’ailleurs reprend naturellement le contrôle de
l’espace.
Il faut aussi dire que nos hôtes nous ont très bien
accueillies : plats traditionnels à chaque repas, thé
amer à la mousse interminable, chants traditionnels
envoûtants ainsi que différents types de dattes,
en plus d’un toit où dormir ! Nous étions traitées
comme des reines par de parfaits inconnus, tout
ce que nous avions à faire était de travailler sur
ce chantier pour faire avancer son classement au
patrimoine national algérien.
Nous le faisions avec grand plaisir, conscientes de
l’enjeu que cela représentait pour les habitants,
notamment Chikh Kader, notre hôte, qui disait
rêver de voir l’Agham de ses grands-parents en
meilleur état. Lui, qui a tant d’histoires à raconter
sur son village, ne voulait pas le voir tomber aux
oubliettes, sous le sable.
S’il y a bien une chose que je n’oublierai pas,
c’est notre rituel quotidien. Regarder le coucher
du soleil sur le sommet d’une dune pas loin
de notre logement, nous étaler sur le sable,
essoufflées par l’ascension jusqu’au sommet, le
sable légèrement frais et humide épousant les
courbes de nos corps, nous ne faisions qu’un avec
lui, nous nous endormions même quelques fois,
calmes, apaisées, soulagées de tout problème.
Nous étions simplement heureuses à ces instants
précis.
Un soir, des hommes vêtus de leurs tenues
traditionnelles, Chach sur la tête et Kamiss d’un
blanc légèrement bleuté sont venus. Ils se sont
posés formant un cercle sur le sol et ont chanté
en notre honneur des chants traditionnels et
religieux. Il s’agissait de la troupe du « Ahl Elil »,
majestueux est le mot qui les décrirait le mieux.
Au-delà de nos différences culturelles, je ne
pouvais m’empêcher de remarquer nos similitudes,
celles qui nous unissaient. La langue que nous
parlions, les plats que nous mangions, et même
nos habitudes se ressemblaient en quelque sorte.
Nous appartenons bel et bien à la même patrie,
riche en variantes dues à l’immensité de notre
pays.
Ce voyage a été pour moi un petit moment de
paix dans une année tumultueuse. Le partage et
l’échange culturel étaient au rendez-vous grâce
à ces âmes formidables, tellement chaleureuses
et accueillantes. Leurs sourires brillaient bien plus
que le soleil éclatant du désert, comme disait
Chikh Kader :
. » بالدنا واسعة و قلوبنا واسعة كرث «
Je ne pouvais que confirmer cette phrase qui ne
quitte plus mon esprit depuis. Je vous avouerai
que quelques larmes ont quitté mon corps en
rentrant chez moi. Au sommet de la dune de
Talmine, je me sentais comme un petit grain de
sable au milieu du Sahara.
Novembre • Décembre • Janvier 2019/20 - ineffable
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