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«IL FAUT REPENSER<br />
LE FÉTICHISME »<br />
Moqué ou diabolisé, le fétichisme devrait être célébré. C'est ce<br />
que défend le Professeur Francesco Bianchi-Demicheli, médecin<br />
sexologue aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).<br />
Par Laure Dasinieres<br />
« Merci de traiter de ce sujet. Beaucoup trop de<br />
personnes viennent me voir avec un auto-diagnostic<br />
ou un diagnostic de leur conjoint·e·x alors<br />
qu’iels vont très bien ! » : le ton est donné.<br />
Un des chevaux de bataille de Francesco<br />
Bianchi-Demicheli est de sortir le fétichisme<br />
– pensé comme l’érotisation<br />
d’un objet ou d’une partie du corps de<br />
l’autre – de la psychiatrie et de la pensée<br />
hétéronormative. Le sexologue revient<br />
aux sources du problème : « Au cours du<br />
19ème siècle, naît l’idée selon laquelle<br />
toute forme de sexualité qui ne rentre pas<br />
dans la normalité du mariage et qui n’a<br />
pas un but de reproduction, est une perversion.<br />
» S’en suit de longues décennies<br />
où le fétichisme est conçu comme une<br />
déviance, quelque chose de pathologique<br />
et d’obscène. Les manuels de psychiatrie<br />
font de lui un trouble mental, une paraphilie,<br />
rangée sur la même étagère que<br />
la pédophilie ou la zoophilie…<br />
LE FÉTICHISME N’EST PAS UN TROUBLE<br />
PSYCHIATRIQUE<br />
Il faudra attendre 2015 pour que le DSM-5 (ndlr :<br />
le manuel diagnostique et statistique des troubles<br />
mentaux, un ouvrage de référence en psychiatrie)<br />
fasse la distinction entre la paraphilie 1 et le<br />
trouble paraphilique 2 . Alors, le fétichisme n’est<br />
plus conçu comme une maladie mentale nécessitant<br />
une intervention psychiatrique.<br />
Depuis 2019 avec la parution du CIM-19<br />
(ndlr : la classification internationale des<br />
maladies), le fétichisme et son cousin le<br />
BDSM ne sont plus considérés comme<br />
des troubles psychiatriques Mais, il est<br />
difficile de se défaire de presque deux<br />
siècles d’héritages moraux, psychiatriques<br />
et psychanalytiques. Là encore,<br />
les fétichistes sont stigmatisé·e·x·s.<br />
Pour Francesco Bianchi-Demicheli, il est grand<br />
temps que cela change. « Il faut repenser le fétichisme.<br />
Pourquoi concevoir comme une pathologie<br />
un mécanisme aussi répandu dans le domaine<br />
érotiques et para-érotiques ? »<br />
LE FÉTICHISME COMME VERTU<br />
Le sexologue nous invite à sortir de notre zone de<br />
confort et des jugements moraux pour considérer<br />
le fétichisme comme fonction cognitive supérieure<br />
: « Il relève d’une forte capacité d’abstraction.<br />
Fétichiser, c’est construire une synecdoque,<br />
soit être capable de conceptualiser ce qui crée<br />
notre désir. Fétichiser une zone du corps de notre<br />
partenaire·x ne revient pas à objectifier notre partenaire·x<br />
», explique le sexologue. « Ce pourrait<br />
même être une manière de tisser et d’entretenir<br />
l’attachement, un peu comme un doudou. »<br />
Enfin, Francesco Bianchi-Demicheli nous<br />
invite à penser le fétichisme et la sexualité<br />
comme des jeux et à retourner le stigmate<br />
: « C’est la sexualité « vanille » qui<br />
pose problème ! Les personnes qui s’en<br />
contentent voient leur désir s’émousser. Il<br />
faut renouer avec l’érotisme et sortir des<br />
normes qui régissent notre sexualité. »<br />
1 Fantasmes ou pratiques sexuelles jugées non conventionnelles<br />
2 Désirs sexuels atypiques impliquant d’autres personnes dont<br />
l’âge ou le statut rendent leur consentement impossible à obtenir<br />
ou l’acte contraire à leur volonté (par exemple, un enfant, un<br />
animal, un individu non consentant exposé à une exhibition…)<br />
et/ou provoquant une souffrance chez la personne (ex : pédophilie,<br />
zoophilie…) et une altération du fonctionnement social.<br />
56 SANTÉ<br />
FÉTICHISME