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C’EST COMMENT ?<br />
PAR EMMANUELLE PONTIÉ<br />
BAS LES MASQUES !<br />
DOM<br />
Le 26 mars dernier, un événement – car c’en est un – est un peu passé inaperçu.<br />
Un masque en bois du peuple Fang, spécimen rarissime de la société secrète des justiciers<br />
du Ngil, s’est envolé à 5,25 millions d’euros lors d’une vente aux enchères à Montpellier, dans<br />
le sud de la France. Un record qui talonne de peu celui de 2006 pour un autre masque de<br />
la même ethnie, qui avait été adjugé à 5,9 millions d’euros, à Paris.<br />
À Montpellier, dans la salle, un membre de la communauté gabonaise locale<br />
s’est exclamé : « Le voleur doit être pris avec l’objet volé. Ne vous inquiétez pas, on va porter<br />
plainte. On va récupérer cet objet, c’est un bien mal acquis colonial. » Dans ce cas précis,<br />
et selon le commissaire-priseur, ce masque a été collecté vers 1917 par un gouverneur<br />
français en poste à Dakar, et a dormi dans un grenier durant plus de cent ans. Alors oui,<br />
c’est probablement un vol. Mais la vente s’est faite en<br />
toute légalité. À l’heure où certains pays d’Afrique de<br />
l’Ouest, comme le Bénin ou le Nigeria, demandent (et<br />
ont commencé à obtenir) la restitution de leurs œuvres<br />
d’art pillées, la réaction de l’agitateur gabonais est bien<br />
entendu légitime.<br />
Pour autant, ce fait divers ouvre un débat<br />
assez compliqué. Sur le plan du droit, d’abord. Comment<br />
prouver que ces pièces aient été offertes ou<br />
pillées ? La plupart du temps, plus aucun témoin n’est<br />
là pour en attester. Comment changer le droit à la<br />
propriété ?<br />
Par ailleurs, dans le cas de l’Afrique centrale,<br />
il semble qu’aucune nation n’ait à ce jour montré une<br />
velléité très prononcée pour récupérer son patrimoine.<br />
Elle n’a pas construit de musée d’envergure, sécurisé,<br />
capable d’accueillir des pièces aussi exceptionnelles.<br />
Alors, certes, la plupart de ces œuvres ont été volées<br />
et devraient être restituées à leur propriétaire ou à leur<br />
pays. Et le mouvement ayant été lancé, on peut supposer qu’il va se poursuivre. On le<br />
souhaite en tout cas.<br />
Mais ce que l’on souhaite aussi, c’est que l’Afrique en général montre un peu<br />
plus de passion pour son art ancien. Que les milliardaires du continent s’y intéressent<br />
davantage, par exemple. À ce jour, les vrais collectionneurs africains se comptent sur les<br />
doigts d’une main, et souvent, ils sont plutôt séduits par l’art contemporain. Quant aux<br />
peuples, l’art ancien n’est pas non plus une priorité pour eux. Loin de là. C’est dommage,<br />
car il faudrait peut-être commencer par là. Afin de faire pression et de favoriser des retours,<br />
privés ou publics, plus massifs. Un peu plus passionnés, quoi ! ■<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>427</strong> – AVRIL 2022 29