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CAROUGE AUX<br />
RYTHMES DE PAGANI<br />
Carouge a pris des airs napolitains lors d’une soirée qui a interrogé<br />
la place des rites ancestraux italiens dans le monde contemporain.<br />
Ces traditions immémoriales peuvent servir à mieux questionner<br />
les binarités aujourd’hui.<br />
Par Ferdinando Miranda et Pauline Guex<br />
Carouge, surnommée la Cité sarde – par son<br />
basculement dans le royaume de Piémont-<br />
Sardaigne au XVIIIe siècle, son architecture italienne,<br />
la liberté religieuse exceptionnelle dont elle a fait<br />
preuve pour l’époque et sa mentalité méditerranéenne,<br />
qui ont tant contrasté avec le rigorisme de la cité de<br />
Calvin – a résonné de sons et d’énergies ancestrales<br />
et vibrantes en provenance de Naples, le soir du 11 mai.<br />
On y a notamment discuté des figures des<br />
femminielli, ces personnes assignées<br />
hommes à la naissance qui assument socialement des<br />
rôles de genre et des expressions conventionnellement<br />
considérées comme « féminines » dans la région de<br />
Naples. Par leur position sociale particulière, les femminielli<br />
prennent part aux rites de la collectivité (naissances,<br />
baptêmes, mariages, funérailles), occupent<br />
des fonctions de care, et sont lié-e-x-s au monde du<br />
spectacle, de la chance (tombola) et du travail du sexe.<br />
Ce phénomène social et culturel est en voie<br />
de disparition dans la société napolitaine.<br />
La plupart des personnes de la diversité sexuelle et<br />
de genre s’inscrivent autrement dans le contexte socio-culturel<br />
de la ville méditerranée et iels ont recours<br />
à d’autres terminologies pour se définir et vivre autrement<br />
leurs identités. Aussi, le terme femminielli est-il<br />
aujourd’hui utilisé comme insulte, à l’instar de « faggot »<br />
ou « tapette », même si certain·e·x·s se réapproprient ce<br />
nom, renversant ainsi le stigma.<br />
TRADITIONS PAÏENNES<br />
À l’occasion de la 58e édition du Printemps<br />
Carougeois organisée par la Ville de Carouge<br />
et placée cette année sous le thème des « rites et rituels<br />
», le Centre Maurice Chalumeau en sciences des<br />
sexualités de l’Université de Genève, dont le siège est<br />
actuellement à Carouge, en partenariat avec le festival<br />
Everybody’s Perfect et l’Antenne LGBTI de l’Église protestante<br />
de Genève, ont présenté le film-documentaire<br />
Pagani (2016), de la réalisatrice Elisa Flaminia Inno,<br />
qui a été suivi d’une table ronde et d’un concert.<br />
Au pied du Vésuve, à Pagani près de Pompéi<br />
(Naples, Italie), une communauté de fidèles<br />
de Notre-Dame-des-Poules (Madonna delle galline)<br />
perpétue les anciennes traditions païennes mêlées<br />
d’éléments chrétiens. Ces rites et rituels collectifs et<br />
populaires, guidés par les femminielli, célèbrent la<br />
Vierge ainsi que le passage des saisons, avec des chants<br />
et des danses ancestrales à la force cathartique. À cette<br />
occasion, les femminielli mettent également en scène<br />
de manière théâtrale des étapes du cycle du vivant.<br />
À partir du contexte spécifique de ce film-documentaire,<br />
lors de la discussion qui a suivi,<br />
il a été question de musique populaire, de spiritualité,<br />
de traditions, de cérémonies païennes et religieuses,<br />
et dans le cadre de ces dernières, de l’inclusion/exclusion<br />
des personnes ayant une orientation sexuelle et/<br />
ou affective, ainsi qu’une identité et/ou expression de<br />
genre différente de la « norme » majoritaire.<br />
LA TAMMORRA, INSTRUMENT<br />
DE LIBÉRATION<br />
Le « chanteur pèlerin » Vincenzo Romano, qui<br />
joue dans le film et a animé un concert sur la<br />
place du Temple de Carouge, a détaillé que la tammorra<br />
est un instrument de musique qui s’inscrit dans la<br />
tradition agricole. Il reprend la forme du tamis, utilisé<br />
pour trier le grain. Employé pour purifier ce dernier, il<br />
devient un instrument de musique et de libération du<br />
corps. Par ailleurs, la tammorra est décrite comme un<br />
objet reliant à la terre tout en menant simultanément<br />
dans une dimension supérieure, céleste. Mélange de sacré<br />
et de profane, des danses du monde antique se lient<br />
au monde chrétien, notamment au culte de la Vierge<br />
Marie. La sexualité, comme la fertilité, la nature, l’identité<br />
et/ou l’expression de genre sont toujours liées à la<br />
danse de la tammorra, dite tammurriata. Cette danse<br />
célèbre la terre et témoigne de la liberté, notamment<br />
sexuelle. Elle représente et raconte des rencontres<br />
et des désirs, et permet une nouvelle façon d’être ensemble<br />
et au monde.<br />
Par ses rythmes, son énergie circulaire, ses<br />
fréquences qui parlent au plus profond des<br />
corps, la musique a le potentiel de rassembler et d’an-<br />
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SAVOIRS<br />
SOCIÉTÉ