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360° magazine / juin 2023

Numéro 224 / Pride

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noux reproche de jeter de l’huile sur le feu, d’aller trop<br />

loin, d’êtres hystériques, d’avoir « desservi la cause ».<br />

Je peux cependant témoigner des conséquences mentales,<br />

financières, judiciaires et professionnelles que<br />

subissent actuellement les personnes ayant lancé des<br />

alertes. Ironie du sortilège, je n’aurais au final pas passé<br />

l’ordalie du Département de l’instruction publique ( DIP )<br />

genevois. Iel y a trois ans on m’interdisait d’enseigner à<br />

Genève, aujourd’hui on tente d’interdire aux dragz de<br />

lire des contes aux enfants.<br />

Mais après la débandade syndicale, j’ai obtenu<br />

l’assistance judiciaire de la Ville de Genève pour<br />

trouver une solution avec le DIP, en vain. Mon parcours<br />

m’a également menéex à saisir par deux fois le Grand<br />

Conseil: « Dans quelle mesure est-ce que le gouvernement<br />

estime que la publication de photos dénudées<br />

liées à une pratique artistique contrevient à la dignité<br />

qui correspond aux responsabilités qui incombent au<br />

corps enseignant ?», « La réaction du département face<br />

à cette affaire signifie-t-elle qu’il est impossible d’être<br />

queer et remplacer/enseigner au cycle d’orientation ?»<br />

Trois ans après mon licenciement, je suis toujours<br />

privéex de dessert et de carrière dans l’enseignement<br />

public cantonal à Genève. Pour me consoler, cette<br />

année, je suis encore sur le programme municipal de<br />

l’IDAHOT. Au final, je ne suis qu’un dommage collatéral<br />

dans une bête histoire d’agenda politique. Un simple<br />

pion, peut-être un cavalier ou un fou ? Laissez-moi croire<br />

que j’étais une reine ? Un roi ? À damner sur l’échiquier<br />

de l’inclusivi-L.G.B.Té. Le devoir d’exemplarité pour<br />

les professeureuses a été adopté à la rentrée scolaire<br />

suivant mon licenciement.<br />

L’inclusivité donc, mais à condition d’être dans<br />

la norme ( sans préciser laquelle !), conforme ( en omettant<br />

à quoi !), à condition d’avoir un passing binaire, de<br />

ne pas faire trop de vagues, d’accepter les blagues et<br />

les insultes, de me taire, de leur plaire… à condition de<br />

noux couper les iels. Spoiler alert, la norme dont on ne dit<br />

pas le nom frappe sans crier gare. C’est la norme du quai<br />

9 3/4 qu’on se prend en plein face. Non pas un plafond<br />

de verre, mais un mur de brique que l’on ne traverse<br />

pas. Celle dont on ne doit pas prononcer le nom sous<br />

peine d’être frappéex de malédiction wokiste, c’est la<br />

norme cishéteronationaliste blanche et valide.<br />

Alors comment infiltrer à nouveau le cistème<br />

scolaire ? C’est Isabelle Chladek qui m’en a donné l’occasion.<br />

En acceptant mon objectif : prouver la dissonance<br />

éthique d’une institution qui estime que je suis<br />

trop indigne pour être professeureuse… sauf pendant<br />

la Semaine de l’égalité !<br />

FACE THE MUSIC :<br />

DRAG IS THE NEW FOLKLORE<br />

Et donc, que faire ? Séparer lae prof de jour de<br />

l’artiste non binaire nocturne ? Ce serait renier toute<br />

ma pratique académique, performativo-politique et<br />

curatoriale. Ce serait concéder que les pratiques queer<br />

sont des costumes de scène que l’on range au placard<br />

une fois le spectacle fini et le rideau tombé. Mais le<br />

cœur des pratiques queer s’incarnent dans nos corps<br />

dissidents, dans nos sexualités et nos relations communautaires<br />

et amoureuses. Si iels ne peuvent être<br />

absorbées par le cistème, est-ce parce que leur essence<br />

est irrémeDIABLEment dissiDANCE ? Si c’est<br />

seulement dans la mesure où iels peuvent être dépolitisées<br />

que les pratiques transpédégouines sont assimilables<br />

par le cistème, sans risque, sans mettre le feu<br />

au poudrier, ce n’est qu’une appropriation cultur-IEL-le<br />

de plus. Car le queer ça colle, ça transpire, ça mouille,<br />

ça glisse, ça secrète, ça dégouline, ça dilate, ça gratte.<br />

Le propre du queer c’est d’être sale ou alors de salir, de<br />

saloper. Si le queer devient lisse et brillant, s’il n’existe<br />

que sur papier glacé, alors que nos cœurs/corps sont<br />

brûlants et incarnés, c’est que le queer n’existe plus.<br />

Laissons les promoteurs, les écoles d’art,<br />

les prides et les publicistes se battre pour les lambeaux<br />

de ce bout de viande faisandé qu’est le queer.<br />

Je préfère aujourd’hui parler des pratiques transpédégouines,<br />

fragiles ? Vulnérables ? Dissidentes ?<br />

Déviantes ? Révolutionnaires ?<br />

SHAME!<br />

Depuis 2020, moi et d’autres artistes féministes<br />

et raciséex sommes dans le tourment d’une<br />

procédure judiciaire qui, à l’heure où j’écris, noux<br />

emmène jusqu’au tribunal pénal pour avoir parlé de<br />

culture du viol et d’appropriation culturelle. La saisie<br />

de mon matériel informatique a été demandée sous<br />

prétexte d’être derrière une grève feministe vaudoise<br />

qui ne m’a apporté – encore – aucun soutien approprié<br />

mais n’a pas manqué de m’inviter à mixer à leur fête…<br />

Pourtant, les arts et pratiques « queer » sont<br />

en haut des affiches de tous les festivals et expositions.<br />

Mais aux notables exceptions du MEG, de la FdS<br />

et du Fesses-tival, iels sont encore payéex au lancepierre.<br />

Parfois mâles traitéex, noux ne disposons jamais<br />

de temps de création et d’accès aux résidences,<br />

aux bourses et aux subventions publiques. Certes les<br />

mentalités bougent, mais nos vies sont encore un<br />

numéro de funambulisme jour/nuit, une négociation<br />

constante de nos places diurnes et nocturnes et de<br />

notre survie sociale, professionnelle, parfois de notre<br />

survie tout court.<br />

Après des années de bons et déloyaux services<br />

à rendre les nuits genevoises plus flamboyantes<br />

et plus inclusives par et pour les transpédégouines,<br />

je choisis de ne plus FAIRE PARTY des mascarades<br />

de la pride, des grèves « féministes », des clubs « underground<br />

» genevois. Comme Adèle aux Césars,<br />

quel autre choix que celui de claquer la porte ? Iel<br />

est temps de faire le poing et de prendre soin de<br />

nos communautés, d’écrire et de transmettre nos<br />

légendes avec les lectures drag de contes dérangés<br />

et dégenrés. Iel est surtout temps pour moi de devenir<br />

lae Maitrexe de cérémonyx.<br />

SOUS-RUBRIQUE<br />

45<br />

LETTRE OUVERTE<br />

45

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