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Le 2 <strong>juin</strong> est la journée mondiale des troubles des conduites alimentaires<br />
(TCA). Souvent décrits comme féminins, ils concernent pourtant<br />
les hommes et notamment les gais et les bis/pans. Parlons-en<br />
sans faux-semblants.<br />
Par Laure Dasinieres<br />
« JE SCRUTE LES DÉFAUTS<br />
JE ME TROUVE PLUS BEAU DANS LE NOIR<br />
MA PEAU RECOUVRE MES OS<br />
JE BRISE MON CORPS<br />
CHAQUE JOUR UN PEU PLUS FORT<br />
JE N’SUIS ENCORE<br />
QUE DÉGOÛT ET REMORDS<br />
J’ESSAIE DE GARDER LE CONTRÔLE<br />
D’UN REFLET QUI DÉRANGE<br />
MES GESTES DEVIENNENT HORS DE CONTRÔLE<br />
JE SENS QU’LA VIE ME MANGE<br />
CE SOIR JE ME SUIS RETROUVÉ SUR LE FIL DU RASOIR<br />
JE SAIS QU’TU M’AS DIT D’ARRÊTER,<br />
MAIS JE N’PEUX PLUS ME VOIR<br />
C’EST PAS JOLI C’QUE J’FAIS POUR MAIGRIR<br />
À GENOUX SUR LE SOL<br />
FAUT QU’J’ARRÊTE, JE N’VAIS PAS M’EN SORTIR »<br />
Dans sa chanson Contrôle, le chanteur Marius évoque<br />
l’anorexie sans fard ni romantisation. À l’instar de Sam<br />
Smith, qui a longtemps souffert de boulimie, le jeune<br />
artiste lyonnais est un des rares à lever le voile sur ce<br />
sujet si difficile que sont les TCA chez les hommes<br />
queer. Difficile, parce qu’il s’agit de maladies qui sont<br />
porteuses de non-dits. Difficile, aussi, parce qu’elles<br />
sont généralement pensées comme féminines et que<br />
les hommes concernés ont parfois du mal à simplement<br />
réaliser qu’ils en souffrent.<br />
Le Dr Marco Solcà, psychiatre et chef de clinique<br />
aux Espaces de soins pour les troubles<br />
du comportement alimentaire (ESCAL) aux<br />
HUG évoque le poids des représentations:<br />
« Les premières descriptions de l’anorexie<br />
par Richard Morton au XVII e siècle évoquaient<br />
aussi bien les hommes que les femmes. Puis,<br />
la psychiatrie en a fait une maladie essentiellement<br />
féminine. Jusqu’au DSM-4 1 c’est-dire<br />
jusqu’en 2015, l’aménorrhée – ou l’absence<br />
des règles – faisait partie des symptômes,<br />
écartant ainsi les hommes cisgenres du diagnostic.<br />
Pourtant, les hommes représentent<br />
10% à 30% des personnes concernées, et parmi<br />
eux, les hommes gais ou bisexuels sont<br />
surrepresentés. » De fait, selon les études, ces<br />
derniers sont 2 à 8% à être affectés par des<br />
TCA, quand ce sont seulement 0,3 à 2% des<br />
hommes hétéros.<br />
Ces chiffres ne sont pas surprenants. En effet, les<br />
hommes queer sont particulièrement exposés à<br />
des facteurs de risque tels que le harcèlement, les<br />
discriminations/le rejet social ou familial, le stress<br />
minoritaire ou encore, parfois, l’homophobie intériorisée.<br />
Ceux-ci induisent une faible estime de soi et<br />
un besoin de reprendre le contrôle qui font le lit des<br />
TCA. En outre, si ces troubles sont multi-factoriels,<br />
l’exposition répétée à des images de corps « parfaits »<br />
(entendre minces, musclés et jeunes) véhiculées par<br />
les réseaux sociaux pourraient fragiliser davantage<br />
cette population – et on sait combien les médias gais<br />
ont tendance à partager ce type de représentations.<br />
La valorisation du physique au sein de la<br />
communauté gaie, notamment sur les apps<br />
de rencontres peut, de même, exercer une<br />
forme de brutalité et participer au développement<br />
de TCA. C’est ce que souligne Mickaël<br />
Worms-Ehrminger, docteur en santé publique<br />
et recherche clinique, qui a lui-même souffert<br />
de TCA pendant plus de quinze ans : « Sur<br />
les applications de rencontres, les échanges<br />
peuvent être particulièrement violents. Tu<br />
reçois parfois immédiatement des commentaires<br />
tels que “ Tu es trop moche, pourquoi tu<br />
m’écris ? ” Certains vont se foutre royalement<br />
de telles remarques, mais d’autres, soit parce<br />
qu’ils ont une prédisposition, soit parce qu’ils<br />
sont déjà dans le trouble, seront fragilisés<br />
sinon confortés dans leurs comportements<br />
anorexiques ou boulimiques. » Dans une tribune<br />
parue dans Slate, en 2020, le journaliste<br />
Fabien Jannic-Cherbonnel écrit : « À mon<br />
sens, il existe bien une mise à l’écart systémique<br />
et grossophobe des corps des hommes<br />
gais et bi qui ne répondent pas à la norme. ». Il<br />
poursuit : « Je pense aux quelques fois où un<br />
plan cul a regardé mon corps d’un air déçu ou<br />
à cette fois où un date m’a dit qu’il fallait que<br />
je me mette au sport pour devenir “ healthy ”. »<br />
DES MALADIES QUI TUENT<br />
Malgré les chiffres et les facteurs culturels et environnementaux,<br />
le mal fait par des siècles de psychiatrie<br />
patriarcale est bien là, et la plupart des hommes gais,<br />
bis, et pans atteints de TCA reste invisible. Alors, méconnaissance,<br />
déni et tabou s’auto-entretiennent avec<br />
des conséquences parfois dévastatrices. Romana<br />
Chiappini, psychologue ABA au sein de l’association<br />
Anorexie et Boulimie à Lausanne signale ainsi : « Les<br />
hommes ont peut-être davantage de difficultés à se<br />
reconnaître comme souffrant d’un trouble du comportement<br />
alimentaire, car c’est une maladie étiquetée<br />
comme féminine. Et, ceux qui se reconnaissent dans<br />
ces troubles ont sans doute davantage de difficultés<br />
à en parler et à se faire aider. Alors qu’il s’agit déjà de<br />
maladies marquées par la honte, il existe une vraie