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Le Brécaillon - Musée Militaire Genevois

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LAUSANNE 1964 ET GENEVE 1968 - L'ARMEE S'EXPOSE<br />

- contre «le tir des jeunes au fusil d'assaut»;<br />

- contre la notion de défense spirituelle;<br />

- et enfin «contre la société dans son ensemble et l'armée en particulier par une<br />

fraction des étudiants» (27) .<br />

<strong>Le</strong> parti socialiste écrit début avril au Conseil fédéral pour protester contre la<br />

tenue de journées militaires «dans cette métropole de la paix, symbole de la recherche<br />

de la paix aux yeux du monde» et pour demander le retrait de tout soutien officiel à la<br />

manifestation. La Voix ouvrière dénonce une «kermesse des colonels», «dangereuse<br />

pour la sécurité publique», en particulier à cause des tirs aériens dans le lac. <strong>Le</strong> 1er mai,<br />

ce même journal parle d'une «idée saugrenue» et de la difficulté de concilier ce<br />

«tintamarre militaire» avec le rôle international de Genève (à noter une concession de<br />

taille de l'organe communiste: la défense nationale est un mal nécessaire…) La Suisse<br />

signale que des enseignants - «certains sont gradés»! - s'inquiètent que l'on fasse tirer<br />

au fusil d'assaut des jeunes de moins de 20 ans.<br />

Bref, les critiques sont vives et les arguments fusent dans les deux camps, celui<br />

des «colonels provocateurs» et celui des «défaitistes» (28) .<br />

Une telle polémique ne pouvait tarder à éclater au sein même du Grand<br />

Conseil. <strong>Le</strong> débat, initié par quatre interpellations (du 5 avril) et une résolution<br />

(déposée le jour même), a lieu le 26 avril 1968 (29) . Sont particulièrement visés - si l'on<br />

peut dire - les tirs d'initiation au fusil d'assaut destinés aux jeunes (30) et les tirs aériens<br />

dans le lac (31) .<br />

Ce débat reflète fidèlement la virulence des propos échangés, entre autres, par<br />

presse interposée. Alors que le communiste Jean Vincent prend la parole, on indique<br />

dans le Mémorial «rires», «amusement», «interruption et chahut», «huées», «tollé et<br />

vociférations», «vacarme», «interruptions, brocards», «colère du centre à l'extrêmedroite»,<br />

«cris», «vives protestations», «vifs applaudissements à gauche et à l'extrêmegauche»<br />

(32) . Et l'on note tout au long du débat la mention d'exclamations, de bravos,<br />

d'agitation, de sifflements, de huées ou encore d'excitation (il est de temps en temps<br />

question d'accalmie…) Cette ambiance répond au «tapage invraisemblable, déplacé,<br />

inutile et déformant que l'on a voulu faire autour de ces Journées genevoises de<br />

l'armée» que condamne un député libéral (33) .<br />

Dans un tel climat, le débat ne peut qu'être confus. Robert Ducret précise que<br />

«le but même de ces Journées de la défense nationale est de rendre la compréhension<br />

meilleure entre ceux qui pensent que l'armée ne sert à rien et ceux qui pensent tout de<br />

même que l'armée a peut-être son rôle à jouer». <strong>Le</strong> même dénonce, dans la foulée, ceux<br />

qui veulent bien une armée, mais une armée qui se cache: «cela paraît tellement<br />

indigne d'avoir le sentiment de vouloir défendre les siens, cela paraît tellement<br />

incroyable que cela vous heurte!» René Emmenegger déplore la confusion entretenue<br />

entre l'armée suisse et une armée d'agression. Il s'étonne que certains milieux<br />

considèrent l'armée comme une chose étrangère au pays et qu'une telle manifestation<br />

ne devrait pas avoir lieu à Genève, «comme si Genève n'était pas un canton suisse!»<br />

58 <strong>Le</strong> <strong>Brécaillon</strong><br />

LAUSANNE 1964 ET GENEVE 1968 - L'ARMEE S'EXPOSE<br />

A l'opposé, Jean Vincent, qui se désole de «l'accumulation de truismes, de<br />

banalités redondantes, de réminiscences de discours de cantine» infligées à<br />

l'assemblée, ne rate pas l'occasion de faire allusion à l'affaire des Mirages: «voilà 24<br />

millions qui passent» diront les citoyens chaque fois qu'ils verront un Mirage au-dessus<br />

de leurs têtes (un autre député demande «pourquoi a-t-on mis en évidence les Mirages,<br />

alors qu'on sait combien la population suisse a été sensibilisée par l'affaire des Mirages<br />

et cette excitation-là ne vient pas du parti socialiste, ni de la classe ouvrière en<br />

général?») Il souligne comme d'autres orateurs la tradition pacifiste de Genève et<br />

considère comme une grave erreur l'organisation de journées militaires au bout du lac<br />

(André Ruffieux s'empresse de lui rappeler que l'armée a plusieurs fois garanti la<br />

sécurité de conférences internationales, dont celle qui a abouti au rétablissement de la<br />

paix en Algérie). Un député s'exclame à son tour que «l'armée est un outil peut-être<br />

nécessaire, mais que ce n'est pas quelque chose dont on peut se glorifier puisque c'est<br />

contraire au fondement même de l'Occident qui se veut chrétien». Et le même<br />

d'ajouter: «<strong>Le</strong>s Vietnamiens du Nord ne font pas tellement de défilés militaires, mais<br />

ils défendent quand même leur pays!» (34)<br />

<strong>Le</strong>s Vietnamiens ont donc le droit d'avoir une armée. Il est vrai qu'ils ne sont<br />

ni occidentaux, ni chrétiens…<br />

On glisse ainsi très logiquement vers une politisation du débat. On entend des<br />

allusions à des menées contre le pays qui, à l'époque, ne furent pas le fait de gens de<br />

gauche. Pire, ces Journées ont des «parrains très suspects», tel ce major Troyon qui en<br />

son temps criait «vive le roi» ou ce M.-M. Thomas, un journaliste dont Jean Vincent<br />

demande ce qu'il faisait pendant la guerre… A contrario plusieurs orateurs constatent<br />

que dans certains pays le 1er mai est l'occasion d'imposantes démonstrations<br />

militaires (35) .<br />

Il faut relever ici que la défense spirituelle, qui n'est pas une nouveauté puisque<br />

la notion est apparue avant la Seconde Guerre mondiale, surgit dans le débat. A gauche<br />

on dénonce cette défense «que l'on souhaite dirigée contre une partie de l'opinion<br />

publique, que l'on veut diriger contre certains mouvements pacifiques du pays, que l'on<br />

veut diriger contre certains partis politiques également», une défense spirituelle que<br />

d'aucuns veulent accaparer et qui serait plus dirigée contre un ennemi intérieur que<br />

destinée à soutenir la résistance morale de la population.<br />

A quoi Robert Ducret répond en donnant la définition contenue dans le<br />

message du Conseil fédéral du 9 décembre 1938: «… notre défense spirituelle consiste<br />

à rappeler à notre peuple les fondements spirituels de la Confédération…» Et,<br />

rassurant, d'ajouter que certains pensent «que c'est parce qu'on voit Genève glisser à<br />

l'extrême-gauche qu'on a peur, et même très peur. Mais non! Nous n'avons pas si peur<br />

que cela, et vous êtes loin de nous effrayer, car nous vous prenons tout de même pour<br />

de braves gens!» (36)<br />

Si, dans le cours de la discussion, un député se félicite que le parti socialiste ait<br />

attaché «le grelot contre certains aspects des Journées militaires», si Jean Vincent<br />

<strong>Le</strong> <strong>Brécaillon</strong><br />

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