Rotary Magazin 06/2013

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SCHWER PUNKT 18 L’engagement de l’écrivain allemand contre la barbarie hitlérienne Thomas Mann et Rotary Thomas Mann, prix Nobel de littérature, ne fut pas seulement l’un des rotariens les plus célèbres du monde de son époque. Intellectuel engagé, il fut aussi un adversaire farouche et éloquent du national-socialisme naissant qu’il critiquait ouvertement. Quand Hitler prend le pouvoir en 1933, la situation se dégrade rapidement et le Rotary Club de Munich ne sera alors pas épargné. Après quatre années grandioses d’appartenance au Rotary, les intrigues se trament autour de l’écrivain qui pour finir sera exclu de son club munichois. Les nazis veulent mettre au pas les associations et les clubs et poursuivent le Prix Nobel. Une seule issue pour Thomas Mann: l’exil; après quelques années passées en Suisse (1933), il émigrera aux États-Unis (1938). 80 ans plus tard, quelles conclusions en tirer pour aujourd’hui, pour demain? comme le propagèrent avec un succès grandissant les mouvements fascistes et communistes: en Italie, Mussolini depuis 1923, plus tard en Allemagne, Hitler et en Union soviétique depuis la Révolution russe en 1917 avec Lénine, puis Staline. C’est le testament spirituel de Thomas Mann sur le plan politique. Sa caractérisation des principes moraux du Rotary fait partie de ce qu’on a formulé de mieux depuis que le Rotary existe. Thomas Mann dans sa maison à Munich (1932). Créé en novembre 1928, le Rotary Club Munich, l’un des premiers clubs fondés en Al- Rotary, l’auteur). Quel est le fondement intel- «Quelle est sa constitution interne? (du club lemagne, avait été parrainé par les clubs lectuel (spirituel) sur lequel repose son édification? N’est-ce pas justement cette asso- de Vienne et de St-Gall. L’un des cofondateurs du club munichois décrit Thomas Mann comme étant un rotarien laquelle il se constitue et qui l’anime, cette ciation d’idées d’humanité bourgeoise dans convaincu et très actif, à preuve les nombreux discours qu’il a tenus durant les pre- de tolérance, de servir et d’affinité qui unité de réflexions de liberté, de formation, miers mois qui ont suivi la création du club. constitue la nature de l’humanité, du bourgeoisisme supérieur? C’est ainsi que je vois Un an après la fondation du club en 1929, notre société...». Thomas Mann a reçu le prix Nobel de littérature pour son œuvre couronnée par les Felix Sobotka, alors président du club, lui a «Buddenbrooks». Nombreux rotariens ont ainsi rendu honneur: «Nous, les rotariens perçu la remise de ce prix à Thomas Mann munichois, sommes fiers de notre ami et comme une distinction pour le mouvement nous l’aimons avec ou sans prix Nobel pour mondial rotarien. son esprit libéral et son âme noble, un vrai rotarien. «Cette association d’idées d’humanité bourgeoise», éthos du Rotary Le communisme et le fascisme: deux Le club munichois donna une réception à laquelle de nombreuses célébrités furent invi- Pour Thomas Mann, l’idée supranationale du grands dangers tées. Dans son allocution, Thomas Mann Rotary est l’antithèse du nationalisme et du parla pour la première fois de la philosophie totalitarisme exagérés d’un État totalitaire liberticide et méprisant les droits de éthique du Rotary: l’homme Crise économique et extrémisme politique Cette ère de gloire et d’honneurs allait se terminer. Les villes allemandes connaissaient de grands tumultes politiques, car les partis extrémistes de la droite et de la gauche s’affrontaient ouvertement. En 1925, soit deux ans après un coup d’État manqué à Munich, Hitler publie son ouvrage incendiaire «Mein Kampf» (Mon combat); dès 1930, il gagnera de plus en plus de voix d’électeurs protestataires vu l’insécurité qui régnait dans le pays. Dans un discours public en octobre 1930 à Idealism in a World of Reality Un an après avoir reçu le prix Nobel de littérature (1929), Thomas Mann écrit son essai «Idealism in a World of Reality» qui sera publié en page 9 de la revue «The rotarian» de novembre 1930. À télécharger sous Google Books ou sous www.rotary.ch/webcode 137. ROTARY SUISSE LIECHTENSTEIN JUNI 2013
19 Berlin, Thomas Mann critique la barbarie d’Hitler en des termes cinglants. Il ne faisait désormais plus aucun doute: Thomas Mann était un des plus prestigieux et redoutables orateurs contre le national-socialisme. Il faisait montre d’un grand courage et s’attendait certes à des mesures de rétorsion. Adolf Hitler: les chemises brunes au pouvoir La situation politique s’est rapidement détériorée: le 30 janvier 1933, Hitler est appelé au pouvoir en tant que chancelier du Reich; dès le 28 février 1933, après l’incendie du Reichstag, Hitler abroge tous les droits individuels fondamentaux importants dont la liberté de presse et la liberté d’expression; il autorise les perquisitions à domicile et la confiscation des biens privés. À cette époque, Thomas Mann était avec son épouse Katja à l’étranger en tournée de conférences; il décida alors de ne pas retourner en Allemagne ce qui signifiait l’exil. Il séjourna tout d’abord en Provence, à Sanary-sur-Mer, puis à Küsnacht près de Zurich avant de quitter l’Europe pour les États-Unis où il séjournera de 1938 à 1949. Ce n’est qu’en 1949 qu’il retournera pour la première fois en Allemagne. Et le Rotary? Une des premières actions des nazis dès qu’ils s’emparent de la politique est de juguler les activités du Rotary Club. Dans les années 30, de nombreux articles hargneux et des pamphlets sont publiés contre le Rotary. Les plus vulgaires étaient les attaques du «Kampfblatt der Deutschen Aktion», surnommé le «Blitz». Ce journal reprochait au Rotary d’avoir des structures antinationales et d’être un danger pour l’État: les rotariens sont des «Judengenossen (acolytes des juifs) et des marxistes», des «leaders démocrates demi-juifs», des «porcs assassins, traîtres à la patrie». Thomas Mann: mis au pilori et banni La situation politique se détériore gravement dans les premiers mois de l’année 1933. Wilhelm Ardents, alors président du Rotary club de Munich, partage l’idéologie du nationalisme socialiste; le 4 avril1933, il envoie une lettre à Thomas Mann et à d’autres rotariens leur annonçant qu’ils sont exclus du club. C’est ainsi que prit fin après quatre ans seulement l’affiliation brillante du célèbre écrivain au Rotary club de Munich. L’évolution politique catastrophique dans son pays natal n’avait pas pour autant cessé de le préoccuper. Mais le club munichois ne s’en arrêta pas là; jusqu’en juin 1933, 25 autres membres furent exclus, soit 40 pour cent des effectifs. Cependant, tous les clubs ne se montrèrent pas aussi rigoureux et inflexibles, quelquesuns refusèrent de discriminer les Juifs. Début avril 1933, une majorité de clubs allemands ne s’était pas encore prononcée contre une affiliation des Juifs. Malheureusement cette force de l’identité ne prévalut pas partout. Les représentants des clubs discutèrent avec le gouverneur rotarien Hugo Grille à Berlin de la situation actuelle sans issue, ils baissèrent l’échine face à la terrible violence et déclarèrent à l’unanimité la dissolution des clubs le 15 octobre 1937. Le verdict sur le Rotary Allemagne était tombé. Thomas Mann, déchu de sa nationalité, émigre en Suisse, puis aux USA Le régime avait confisqué son mobilier et sa villa à Munich et – ce qui toucha le plus l’écrivain – y avait installé une organisation SS. Golo Mann réussit cependant à faire passer clandestinement le Journal intime de son père dont le passeport allemand ne fut pas prolongé. l’humanité En 1938, Thomas Mann quitte la Suisse et s’établit sur la côte Ouest des États-Unis à Pacific Palisades (Californie) où on lui réserve un accueil chaleureux. Conscient de sa valeur, il écrira alors: «Là où je suis, c’est l’Allemagne.» La guerre terminée, il revient en Suisse, il y décède à Kilchberg (ZH) en 1955. Des contacts avec le RC Zurich ne figurent pas dans le dossier du club. Quel enseignement peut-on tirer de son parcours? On peut tirer des enseignements à deux niveaux: l’antithèse entre des systèmes totalitaires et des objectifs du Rotary au niveau politique et l’échec de l’homme dans des situations extrêmes. La recherche de compromis avec le régime national-socialiste durant de longues années était condamnée à l’échec dès le début. Là où les droits de l’homme sont bafoués et où le génocide fait partie du système, il ne peut y avoir de terrain d’entente. Qu’en est-il du subconscient de ces êtres humains? À partir du rendu analytique des splendeurs et misères de l’affiliation rotarienne de Thomas Mann, des conclusions sont déductibles sur l’essence de la nature humaine. Comment s’expliquer qu’un écrivain dont on parle en termes élogieux et mondialement connu d’amis rotariens ait à se défendre soudain publiquement contre des machinations à cause d’une situation politique renversée et qu’il soit exclu de son club Rotary d’un jour à l’autre sans autre procédé, sans une parole de regret et sans aucun remerciement? Le critère des quatre questions rotariennes s’aligne sur la «règle de l’humanité»; trois de ces questions demandent la réciprocité selon la formule: «Ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas à autrui.» Il est clair que cette règle représente une valeur qui a fait ses preuves au cours du temps et fait appel à un comportement humain exemplaire comme la non-violence (tolérance), la loyauté (sincérité), la solidarité (équité). L’affiliation au Rotary n’est cependant pas une garantie contre les facettes sombres de l’être humain si chacune n’est pas fixée personnellement dans ses idéaux. L’ascension et la chute de Thomas Mann dans l’Allemagne des années 30 et au Rotary Club de Munich montrent de façon évocatrice que l’humanité de l’homme inclut non seulement le bien, mais aussi le mal et la lâcheté. DGE Erwin Bischof Erwin Bischof (16.10.1940), historien et publiciste est entré au Rotary il y a 30 ans; tout d'abord membre du RC Bern Muri, il est membre du RC Bern Christoffel depuis 16 ans (membre fondateur). Son ouvrage «Thomas Mann und Rotary – Wie der deutsche Dichter gegen die Barbarei des Nationalsozialismus kämpfte» peut être commandé sous www.interforum-events.ch (CHF 20.–, version e-book € 9.90) ROTARY SUISSE LIECHTENSTEIN JUNI 2013
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