Revue des musiques«Lohengrin»: deux plateaux divisent l’espace et donnent unedimension fantasmagorique à la cour de Brabant.psychanalysante où l’héroïne redevientune petite fille jouantavec un bateau de bassin parisien.Une enfant en quête de rapportsavec son père auquels’identifie jusque dans l’apparencephysique le Hollandais errant.Quant au choeur des fileuses,il est devenu un groupe deblondes platinées à la frisure bricelet,mode USA 1950. A la sortie,le public est partagé. Beaucoupsont choqués, fâchés, énervés.Certains même courroucés. Lesapplaudissements ont d’ailleursété mesurés. Seul le régisseur paraîtpersuadé d’avoir conquisl’auditoire avec cette interprétationqui sollicite beaucoup letexte wagnérien. Personnellement,je fais partie des déçus: cen’était pas le «Hollandais volant»,mais le «Batave rampant»!Mardi 5 août:Même sur la colline sacrée, lacanicule ne faiblit pas. Tant s’enfaut. Dans la tribu des pingouins,cette chaleur est tellement montéeà la tête d’un certain qu’ils’amène sans chaussettes. Sesproches congénères vont déguster…D’autres, englués dans latouffeur, s’assoupissent sur leurbanquise devenue brûlante…Tranche le port noble et altierd’un sexagénaire soigné qui, malgrétout, garde au complet lestrois pièces de son smoking:qu’est-ce qu’on endure pour fairebonne figure! Sur scène, la grandeurwagnérienne triomphe.Keith Warner a organisé une lumineusevisualisation de l’ouverture.La représentation entièrebaigne dans une débauche decouleurs et de costumes, d’armesétincelantes et de machineriebrillante. Le jeu des solistes, leursvoix: tout contribue à transformerce Lohengrin en une superberéussite et à enterrer la déceptiondu Hollän<strong>der</strong>.L’intérieur du Festspielhaus. Lessièges y sont d’un confort spartiatepour ne pas perturberl’acoustique de la salle.Mercredi 6 août:C’est le début du Ring desNibelungen. Un trio assure, involontairement,la distraction desspectateurs: une dame à lasoixantaine opulente accompagnéed’une duègne revêche etd’un monsieur à lunettes et à labonhomie placide se fraient unpassage dans la rangée pour trouverleurs places. Un premier parcours:sans succès. Un second alleret retour: en vain. Crainte oucolère, angoisse ou scandale: toutse mêle dans leurs regards. Ouf! letroisième essai est le bon. Lespectacle peut aussi commencersur scène.Heureusement que Wotan(Alan Titus) est là pour donner ducorps à cet Or du Rhin qui enmanque un peu. Quant aux fillesdu Rhin, elles prouvent que debrillantes sopranos peuvent aussise mouler dans des corps de madoneet pas seulement dans desformes de matrone.Jeudi 7 août:Où l’on repère pour la premièrefois une sorte de spectreambulant. A coup sûr une Anglaise,sèche et décharnée dansPlutôt qu’une banale cloche, c’est une sonnerie de cuivres qui appelleles spectateurs à pénétrer dans le saint des saints wagnérien.Une réussite (aussi) économiqueSur la verte colline de Bayreuth, les vrais pingouins sont ceux quin’ont pas endossé leur plus beau smoking.Les audaces du futurDepuis la reprise des Festspieleen 1951, après le purgatoireconsécutif aux acoquinementsnazis, les billets d’entrées’arrachent: pour 59220 placesdisponibles, le Festival reçoitrégulièrement près de 500000demandes. Et uniquement parlettre, sur le formulaire ad hoc.Pas de téléphone, ni de fax oude courriel.Pour favoriser son impacttouristique, le Festival a maintenuune autre tradition: il débutetoujours un 25 juilletpour s’achever un 28 août. Peuimporte sur quel jour celatombe. Cette constance facilitela planification des agentstouristiques et de l’hôtellerielocale. Les rentrées directesdes Festspiele (billetterie,licences, droits radiophoniques,merchandising, etc.)contribuent pour 62% des 13millions d’euros réalisés. Lapart monte même à 66% sil’on inclut encore les contributionsde la Société des amis etdu sponsoring. Les subventionspubliques couvrentle solde.L’organisation sait aussiremarquablement gérer lescoûts: aucun artiste n’est rétribuéen fonction de sa réputation.Les cachets sont liés aurôle interprété. C’est à prendreou à laisser. Mais rares sontceux qui renoncent!La direction des Festspielereste une affaire de famille. ARichard Wagner a succédé sonépouse Cosima, puis son filsSiegfried et sa femme Winifred,enfin ses petits-fils Wieland etWolfgang. A 84 ans, au bénéficed’un contrat à vie, ce <strong>der</strong>niertient toujours d’une mainde fer les rênes du festival. Régulièrementcontesté jusquedans le clan Wagner – sa nièceNike et sa fille Eva en tête –l’autoritaire patriarche a contréavec vigueur les reprochesd’immobilisme: fin 2001, il asurpris ses détracteurs enconfiant au cinéaste Lars vonTrier la nouvelle mise en scènedu Ring des Nibelungen (en2006). En engageant l’intendantdu Staatstheater deMunich, Klaus Schultz, commeresponsable d’un éventuel intérim,Wolfgang Wagner a définitivementtué les espoirs deceux qui guettaient sa retraite.Ce printemps, il a encore mouchéla critique en annonçantl’arrivée de Christoph Marthaler– le très contesté directeurdu Schauspielhaus de Zurich –pour la régie de Tristan <strong>und</strong>Isolde en 2005. Le programmeest ainsi boulonné jusqu’en2007. Wolfgang aura alors 88ans! Parions que l’ancêtre sauraencore piloter sa successionpour laquelle la famille Wagnerconserve priorité.36 UNISONO 13/14 • 2004
Revue des musiquesBrillant «Siegfried». Mais pourquoi transformer le héros magnifiquede Wagner en ouvrier engoncé dans une salopette?sa robe longue, qui paraît sortirtout droit d’un roman d’épouvante.Maigreur et pâleur seconjuguent pour faire peur.Heureuse transfiguration enrevanche pour la Walkyrie: Wotanet, plus encore, Brünnehilde(Evelyn Herlitzius) transcendentla scène. Car cette cantatrice atout: la splendeur vocale et labeauté physique, l’éclat du timbreet la puissance sans limite, le jeuFestival de BayreuthLars von Trier renonceLe réalisateur danois Larsvon Trier a renoncé à mettreen scène la tétralogie deRichard Wagner constituant«L’anneau de Nibelungen» (DerRing des Nibelungen) pour lefestival de Bayreuth 2006. Cedésistement intervient aprèsplus de deux années de préparation.Le concept tout nouveaupour cet opéra-marathon s’estrévélé, de son propre aveu,trop ambitieux pour l’enfantprodige du cinéma danois, quis’est essayé au film musical(«Dancer in the dark», 2000,Palme d’or à Cannes), mais jamaisà l’opéra. Sa décision asurpris la direction du festival,qui l’a qualifiée de «très gravedans une perspective artistiqueet du point de vue du temps».«Mais nous la comprenonset la respectons», et les relationsentre le réalisateur et lede scène et la présence sur leplateau. Elle enchante dès qu’ellechante. Elle émeut dès qu’elle semeut. Elle enjoue dès qu’elle joue.Les moments sont sublimes.Oubliée la touffeur, le frisson passe;la salle tétanisée retient sonsouffle, vibre et soupire. Le balletdes Walkyries qui tombent duplafond et y remontent, les décors,l’intelligence des éclairages:la réussite est totale!directeur du festival, WolfangWagner (un des descendantsdu célèbre compositeur), demeurentinchangées. «C’estavec une certaine tristesse queles deux parties se sont séparéesde cette tâche commune»,souligne le festival. La directiona apprécié cependant que lemetteur en scène danois ajeté l’éponge dans des délaispermettant de lui trouver unremplaçant.Sollicité par la direction dufestival, Lars von Trier s’étaitrendu en 2001 et 2002 enAllemagne pour voir jouerl’opéra de Richard Wagner.L’objectif était de créer, pour lapremière fois à l’opéra, sapropre mise en scène en 2006,en coopération avec le chefd’orchestre allemand ChristianThielemann.(jrf)Wotan transfigure par son talent une scène fantasmagorique.Samedi 9 août:La température extérieureculmine à 39 degrés. A l’intérieur,on n’ose savoir. Les méfaits de latranspiration sont innombrables.Il devient encore plus difficilequ’à l’ordinaire de marcher avectalons aiguilles et distinction. Letroisième volet du Ring met enévidence un drame ou un défi féminin:comment varier ses toilettespour apparaître toujoursdifférente alors qu’on a quatresoirs de suite les mêmes voisins…Certaines usent d’expédientspour détourner l’attention.Telle cette dame patronnesse quia renversé un flacon de parfumsur sa tête.La pénultième étape de laTétralogie est à la hauteur desquatre heures quinze qu’elledure. A un bémol près: pourquoiavoir transformé Siegfried (WolfgangSchmidt) en un métalloventru de la Ruhr? Le choc desformes est d’autant plus cruel enface du seigneurial Wotan et de latoujours divine Brünnehilde dontl’aisance facile et la beauté gracilefont à nouveau tout oublier.Clarinettiste alémaniquerécompenséLe clarinettiste lucernoisMarkus Eichenberger a gagné lePrix 2004 de l'Association Economieet Culture Willisau (LU). LeL<strong>und</strong>i 11 août:C’est le début de la fin. Lespectre britannique réapparaît,concurrencé par le gang deschaussettes: trois générationsd’Anglaises qui promènent leurspieds enturbannés dans des socquettesblanches.Sur scène, Siegfried manquede force vocale tandis que Brünnehildeen regorge. Entre le boulottéballotté et l’élégante éclatante,il n’y a pas photo. Mais labrillance et la fulgurance desautres compensent l’impéritie dupataud pathétique. Surtout que lefinal est grandiose!Voilà, le cycle est bouclé, leRing est terminé. De la déferlantewagnérienne reste une orgie fastueusede sons, de couleurs et desentiments. Au risque de l’indigestion.On n’en redemande plusvraiment. Enfin… Quoique, peutêtre…l’anprochain!Par Jean-Raphaël Fontannazmusicien recevra 25 000 francspour une installation acoustiquequ'il présentera au public du 5 au12 juin à Willisau. (ag)UNISONO 13/14 • 2004 37