FOCUSPERSONALITYUPDATEKNOWHOWCARTE BLANCHEactuelle, cette statistique ne livre tout au plus que des«damn lies», de fieffés mensonges, et voilà de quoi ellesouffre: biais d’attribution; biais de codage; et erreurs desaisie.Biais d’attributionIl tombe sous le sens que dans un centre hospitalier important– et à plus forte raison dans un hôpital universitaire–, la gravité des cas traités est différente que dansun hôpital de district. Le patient atteint de leucémie etsouffrant d’une grave infection sera transféré au centretout comme la patiente avec une septicémie non-maîtrisableou un polytraumatisé après un accident de circulation.La mortalité, tout comme les taux d’infection, doiventêtre de ce fait plus élevés que dans un hôpital pluspetit – le comportement en matière d’attribution des patientsmodèle la statistique, la qualité de l’activité desmédecins sur place n’y est pas reflétée. Le débat qui s’estdéveloppé en 2007 après publication des données sur lestaux d’infection différents entre grands et petits hôpitauxmontre l’inanité de cette manière de faire: le grand publicest dépassé lorsqu’il s’agit d’interpréter les chiffres eten tire des conclusions insensées.Autre exemple: dans un environnement urbain disposantd’un service ambulancier bien développé, il arrivera plusde patients réanimés au centre hospitalier que dans uncontexte rural où les distances sont plus longues; bienentendu, les «out of hospital arrests» survivent nettementmieux en ville qu’à la campagne car ils arrivent plus viteà l’hôpital. Mais la mortalité par infarctus dans cetteconstellation est dix fois plus élevée que celle de patientsqui arrivent en état stabilisé à l’hôpital. Plus un hôpitals’efforcera d’admettre et de traiter des patients dans unétat instable, plus on en sauvera, mais une bonne partied’entre eux meurent de toutes manières quels que soientles efforts consentis. Et la mortalité du centre hospitaliersera en moyenne plus élevée que celle de l’hôpital dedistrict.Biais de codageLa plupart des patients présentent des diagnostics multiples,ce qui ne simplifie pas le codage. Reprenonsl’exemple précédent: un «out of hospital arrest» arrive,après réanimation sur place, intubé au centre hospitalier.L’intervention coronarienne urgente est réussie, le vaisseauest rouvert, le patient est mis aux soins intensifs. Ily développe une infection systémique, une longue hospitalisationse dessine. Comment coder? Septicémie ouinfarctus? Cela aura des conséquences considérables. Si,pour des raisons économiques – et cela semble possible– on choisit le diagnostic le plus complexe, la cohorte desinfarctus est incomplète et les données sont biaisés. Si lepatient meurt de son infection, la mortalité due à l’infarctusest trop basse, car le cas a été attribué à un autre diagnostic.Si l’on veut apprendre quelque chose sur la mortalitéd’une maladie, le diagnostic d’admission devrait être déterminant.Mais l’affaire est plus complexe encore: vu lestermes du problème, il faudrait pouvoir acquérir desconnaissances tant sur la mortalté par septicémie quecelle par infarctus. Le patient devrait donc être codé àdouble et figurer dans deux tableaux si les données doiventfaire sens.Erreur de saisieComme le disent les Américains: «bullshit in, bullshit out»– une statistique ne vaut que par la qualité des donnéesqui forment son ossature. Lorsque l’auteur de ces lignesa dû apprendre un beau jour que, dans sa clinique, lamortalité en hôpital par infarctus dépassait les 10% et aen outre su par hasard, car une étude – avec contrôle aposteriori des patients effectuée soigneusement en parallèlepar deux assistants – a indiqué une mortalité à 30jours de 2,7%, il est en droit de se demander commentdiable ces fameuses données sont produites. Une comparaisonplus détaillée a prouvé qu’en 2008, les codeursprofessionnels n’avaient saisi que 125 infarctus sur les412 traités à l’hôpital universitaire. Donc moins d’un tiers.Vu que la plupart des cas mortels avaient été introduitsdans la statistique, il en est résulté une mortalité quatrefois trop élevée.Comment en arrive-t-on à de pareilles erreurs lors de lasaisie des données? D’une part, vu les directives del’OFSP, les patients en ambulatoire ne sont pas saisis.Lorsqu’un patient de Wetzikon (ZH) est envoyé à l’hôpitaluniversitaire de Zurich pour traitement en urgence etrepart avant minuit dans un autre centre de soins vu lemanque de lit, il ne figurera pas dans la statistique del’OFSP. Etant donné qu’il s’agit dans pareil cas généralementde patients stabilisés, la statistique finit par surestimerla mortalité. Dans le cas cité plus haut, cela représentetout de même 69 patients avec infarctus non saisis(17% de l’ensemble). Ajoutons les erreurs de codage etparfois aussi la simple omission de cas présentant cediagnostic.Il faudrait que les données soient traitées de façon indépendantecomme cela se fait obligatoirement pour toutesétudes et recherches scientifiques depuis des années.Des données traitées par le seul codeur qui ne passent nipar l’unité responsable de l’hôpital concerné – lequelpeut alors vérifier que l’ensemble des patients ont été saisis- ni par un surveillant externe, sont inutilisables. Certes,la récolte de données telle qu’elle est conçue actuellementest nettement meilleur marché, mais ce bon marchéest dans ce cas-là, dépourvu de toute valeur.12 4/2009
FOCUSPERSONALITYUPDATEKNOWHOWCARTE BLANCHELes conséquences de la transparenceLa publication des données de réussite (outcome-data)est pétrie de bonnes intentions: on veut ainsi surveiller laqualité et par là même l’améliorer. Cependant, cettetransparence a des effets imprévus: comme en économie,les résultats influencent les gens concernés. Au Massachusetts,par exemple, la publication des données deréussite a eu un impact surprenant: le nombre de patientstraités en urgence pour un choc cardiaque a baissé endeux ans seulement de près de 40%. Manifestement, lavisibilité des données sur la mortalité a eu pour résultatque les patients ayant subi un choc cardiogénique onttout d’abord été mis en observation et qu’en cas de risquesélevés, ils n’ont tout simplement pas été traités demanière efficace. A New York, il est arrivé quelque chosede semblable au niveau de la chirurgie cardiaque: les patientsà haut risque ont été transférés dans un centre hospitalierd’un Etat voisin. Qui va mettre en danger sa réputationavec des patients à haut risque? C’est un fait,celui qui tente tout de même, dans des situations apparaissantsans espoir, de sauver des patients ayant subi uninfarctus sera désavantagé en tant qu’opérateur car il devraassumer des taux plus élevés de mortalité, vu que laléthalité des patients intubés et sous catécholamine estmultipliée par dix. On rencontre ici en médecine le phénomènede relation floue décrit par Heisenberg en physique:l’objet observé change de comportement – lesAméricains parlent de «risk avoidance creep». Présenterdes taux de mortalité non corrigés est ainsi irresponsable,car cela abaisse la qualité des soins au lieu de l’améliorer.Que désirons-nous atteindre?Emmanuel Kant partait du principe que rien ne pouvaitêtre considéré comme bon sans limite sauf la «volontébonne» – et nous pouvons tout à fait concéder que tantl’OFSP que le législateur sont dans pareille dispositionmentale. Mais cela ne suffit pas dans notre cas. Commenous l’avons vu, les données de réussite présentées parl’OFSP sont incomplètes, parfois fausses et elles induisenten erreur. Elles nuisent aux hôpitaux qui révèlentleurs statistiques (soit jusqu’à présent, 29 hôpitaux desoins d’urgence sur 180), elles inquiètent la populationavec des indications partiellement exagérés sur les tauxde mortalité et compromettent la réputation des centreshospitaliers où sont transférés les patients présentant descomplications. En outre, des chiffres mal différenciés, nereflétant pas la complexité et le profil de risque du patient,comme aux USA, peuvent inciter hôpitaux et médecinsà appliquer des stratégies imprévues de préventiondes risques qui finissent par diminuer la qualité desoins au lieu de la bonifier.Il faudrait des données fiables, traitées par des spécialistesexternes qui les vérifieraient avant publication, donnéesqui seraient ensuite confrontées avec les chiffres internesdes cliniques, puis corrigées en fonction de lacomplexité des cas et présentées de manière distincte,comme c’est déjà pratiqué en Hollande. Cela n’a aucunsens d’indiquer un taux de mortalité par infarctus si l’onne connaît pas la répartition entre patients stabilisés etpatients choqués, car la mortalité n’est pas répartie uniformément.Pareille manière de récolter les données estchère, comme on a pu le constater en recherche clinique:l’introduction de comités de spécialistes externes et desurveillants ont notablement renchéri les essais thérapeutiques,reste que la qualité des données a été améliorée.Le législateur et l’OFSP partent par contre manifestementdu principe que l’on peut remplir les obligations légalesà meilleur marché – c’est erroné et irresponsable. En attendantque les choses s’améliorent, on ferait mieuxd’écouter Benjamin Disreali et laisser de côté les donnéessans y jeter un œil.Reproduction autorisée du journal Kardiovaskuläre Medizin 2009;12 : 229 – 2334/2009 13