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Les villes vous fascinent… Vous pensez<br />
qu’elles vont rester accueillantes<br />
pour les gens, ou va t-on assister<br />
à un nouvel exode urbain ?<br />
Mon ressenti c’est d’être face à un chantier<br />
énorme pour les villes. Il faut réintroduire le bienêtre<br />
et le plaisir d’être ensemble. Pas seulement<br />
par le fait que nous sommes dans une configuration<br />
de concentration mais aussi par la qualité<br />
de vie, de l’air, des services de proximité… Tout<br />
ça c’est un peu embrouillé, même si je trouve<br />
que Bruxelles conserve une très grande qualité<br />
culturelle. Les villes doivent se réinventer, réinventer<br />
leurs valeurs, leur avenir… Je ressens fort<br />
aujourd’hui un manque de vision pour les villes.<br />
Comment va-t-on les développer dans 50 ans ? On<br />
sent que la société est tétanisée par des enjeux,<br />
des difficultés. Il y a un manque de projection. Il<br />
ne va simplement pas suffire de peindre du vert et<br />
de réduire le c02, il va falloir créer un imaginaire<br />
des villes. Et ça, c’est quelque chose de beaucoup<br />
plus complexe.<br />
Les décideurs ont-ils la conscience<br />
de cette nécessité ?<br />
Non ! Ce qui m’étonne toujours c’est qu’ils travaillent<br />
au temps du politique, soit un intervalle<br />
court, alors qu’il faut au contraire envisager le<br />
long terme et s’autoriser autant d’utopies que de<br />
la dystopies. Je suis inquiet quand on est dans une<br />
vision angélique. Les villes sont contrastées, elles<br />
vont produire du désir mais aussi de l’anxiété. Il<br />
nous faudrait des laboratoires urbains, des gens<br />
qui nous racontent la ville de demain. Il faut donner<br />
à rêver autour des villes.<br />
Le passé peut encore nourrir le présent ?<br />
Toujours, et il peut aussi nourrir le futur. Le futur<br />
ne s’invente qu’avec la connaissance de l’histoire.<br />
Je m’inquiète de la méconnaissance du passé. Je<br />
vois beaucoup de gens qui ont l’air d’avoir oublié,<br />
c’est terrible. Si on prend l’exemple de Bruxelles,<br />
il y a une méconnaissance de l’histoire de la ville.<br />
Or si on la connaissait mieux, on l’aimerait mieux<br />
et on la respecterait. C’est indispensable d’avoir<br />
une culture de la ville pour y vivre. On devrait<br />
presque donner des cours d’architecture aux gens<br />
qui achètent des maisons, leur expliquer dans quel<br />
contexte la maison a été construite, pourquoi elle<br />
a été construite telle qu’elle est. Ça me scandalise<br />
de voir des châssis en PVC qui ne respectent pas<br />
les proportions… Il ne s’agit pas d’interdire mais<br />
de cultiver les gens.<br />
Vous célébrez pourtant Bruxelles avec<br />
la publication d’une aventure de Blake<br />
& Mortimer - « Le Dernier Pharaon »,<br />
avec en guest star le Palais de Justice…<br />
Dessiner ce n’est pas simplement interpréter, c’est<br />
vivre. Cela fait 30 ans que je visite inlassablement<br />
le Palais de Justice. J’ai fait des visites très<br />
approfondies et même de l’escalade sur sa façade.<br />
Je trouve important de m’imprégner des lieux et<br />
d’avoir une vision physique qui ne passe pas simplement<br />
par le regard ou la pensée mais bien par le<br />
corps. C’est extraordinaire de voir à quel point ça<br />
transforme le dessin. Notre Palais de Justice est<br />
un bâtiment délaissé, en désamour… Ne parlons<br />
même pas des échafaudages, parce que ça me<br />
fatigue. C’est inacceptable et ça montre une incapacité<br />
de gestion. On est en dehors de toute réalité<br />
d’avoir laissé faire ça. La justice est au cœur de<br />
toute démocratie et on a laissé ce symbole en<br />
arriver là. De l’avoir laissé ainsi est absolument<br />
incroyable et en dit beaucoup sur nous. Les gens<br />
ne le voient plus, ils croient qu’il n’y a même plus<br />
de justice dedans. Ce Blake et Mortimer, je l’ai fait<br />
aussi pour ça. Edouard P Jacobs a vécu en dessous<br />
du Palais. Quand j’ai appris qu’il a envisagé de<br />
réaliser un album sur ce lieu emblématique, j’ai<br />
trouvé ça incroyable.<br />
Bruxelles occupe t-elle<br />
un statut particulier pour vous ?<br />
C’est ma ville, et ce n’est pas rien, c’est la ville d’où<br />
je viens et qui a construit mon imaginaire, avec<br />
tout ce que cela a de troublant et de merveilleux.<br />
J’ai grandi à Wezembeek-Oppem, en regardant<br />
Bruxelles et en la visitant sans cesse. Tous mes<br />
albums parlent de Bruxelles, ils sont issus de<br />
cette matrice. Je suis très conscient de ce que je<br />
dois à cette ville. Bruxelles est une ville de tous<br />
les possibles, elle a une identité très brouillée,<br />
elle est un peu chaotique. Elle a des moments<br />
magnifiques et d’autres assez désespérants parce<br />
que je trouve qu’elle n’a pas été pensée. Elle a de<br />
vraies difficultés : elle est sous-financée, elle est<br />
prise dans cet étau spécifique à la Belgique, et elle<br />
a de vrais problèmes pour se projeter. En même<br />
temps, il y a beaucoup d’artistes qui y travaillent<br />
et qui sont heureux parce que ces particularités<br />
98 <strong>PUB</strong> 04-<strong>2019</strong>