The EmLit Project - Arts @ Brunel
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TRADUCTIONS FRANÇAISES 193<br />
DRAMATURGE – C’est exactement ce que j’étais en train de dire à mes amis : je ne<br />
veux pas vous évoquer pour rien !<br />
M. CLESCERI – Pourtant, vu qu’on est ici, tu devrais écrire notre drame.<br />
DRAMATURGE – Mais c’est ça que je ne veux pas : ça ne me plaît pas de faire<br />
mourir des gens sur la scène, même si ce n’est pas pour du vrai !<br />
G. MEGNA – Mais nous sommes déjà morts! Et nous voulons précisément que se<br />
garde le souvenir de cette mort violente.<br />
DRAMATURGE – Il y a déjà beaucoup de textes sur Portella des Genêts !<br />
S. LASCARI – Moi aussi, je veux dire quelque chose. Il y a déjà beaucoup de textes<br />
sur Portella, mais plus du côté politique que du côté humain, c'est-à-dire de la mort<br />
réelle, la mort douloureuse de tout un chacun…<br />
MATTEO – Je ne crois pas que c’est comme ça. Ici, à Piana, vous êtes honorés<br />
comme des individus spécifiques morts dans le massacre de Portella ! Vos noms sont<br />
gravés sur la pierre et dans la mémoire des gens ! Et dans les livres ou les articles<br />
écrits sur vous il y a de l’émotion et le sens du tragique…<br />
S. LSCARI – Oui, je sais. Mais il semble qu’écrire à propos de nous, victimes sans<br />
défense et involontaires, ne suffit jamais…<br />
M. CLESCERI – (Au dramaturge) S’il t’est difficile de nous faire mourir en scène, ou<br />
plutôt si tu ne le veux pas, tu peux toujours essayer de nous faire vivre…<br />
DRAMATURGE – C’est la même chose. Et j’ai besoin des acteurs…<br />
GIORGIA – Là c’est une belle excuse : tu as les acteurs, tu en a déjà trois ici et les<br />
autres sont prêts à jouer …<br />
DRAMATURGE – Ce n’est pas si simple. Je vais m’expliquer : qui parmi vous veut<br />
jouer le rôle des morts du massacre ? (Il attend une réponse) Vous ne répondez pas ?<br />
C’est logique : qui parmi vous veut mourir, même si c’est pour faire semblant ? Toi,<br />
Angéla ?<br />
ANGELA – Pourquoi compliquer ainsi le problème ?<br />
DRAMATURGE – Je ne le complique pas. Je demande seulement qui veut faire<br />
semblant de mourir dans la scène !<br />
M. CLESCERI – Je crois que j’ai compris. Les acteurs ont raison, s’ils refusent.<br />
Personne ne veut mourir, même si c’est pour faire semblant. On ne peut pas jouer la<br />
mort. La mort, surtout la mort violente, tombe tout d’un coup sur toi, c’est comme une<br />
montagne qui tombe sur toi et t’écrase…moi, par exemple, j’avais ma vie, j’avais mes<br />
rêves, tous pour mes six fils, pour leur avenir : je n’aurais jamais imaginé devenir la<br />
victime de la haine des autres. (Des bribes de film sur Portella, qui montrent les<br />
victimes tomber, sont projetés à l’écran) J’ignore même qui m’a tuée. J’ai senti un<br />
coup dans ma poitrine : j’y ai posé ma main, j’ai touché un liquide chaud, et c’était<br />
mon sang… Si je dis que ce sang était comme un œillet rouge, ou rouge comme le<br />
drapeau des travailleurs, je fais de la poésie. C’était mon sang, là, ce n’était pas une<br />
poésie : le sang d’une femme de trente-sept ans, fille du peuple. J’étais là, à Portella,<br />
pour fêter le 1 er Mai. (Les scènes du début de la manifestation et de la fête sont<br />
projetées à l’écran) Je voulais être là, participer, donner l’appui de ma présence<br />
physique… Et voilà qu’au contraire, je suis morte ! Je le sais. Ma présence est<br />
maintenant éternelle, là sur la colline entre Pizzuta et Kumeta. Mais cela peut-il me<br />
consoler de ma mort prématurée et d’avoir laissés seuls mes six enfants ? Vous<br />
comprenez : six enfants, six fois l’avenir lumineux dont je rêvais pour eux ? Et voilà<br />
qu’à la place, je suis morte ! Et ces quatre gosses-là de San Giuseppe Jato (elle les<br />
indique), tués comme ça, dans l’âge le plus tendre, les voyez-vous ? Je les ai pris<br />
comme mes enfants : il y en a une de neuf ans, vous comprenez ? – neuf ans ! – et les