The EmLit Project - Arts @ Brunel
The EmLit Project - Arts @ Brunel
The EmLit Project - Arts @ Brunel
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Langue et littérature picardes<br />
TRADUCTIONS FRANÇAISES 157<br />
… in Francia et Picardia et Burgundia<br />
Saint Thomas d’Aquin<br />
Les temps ne sont plus où, à Lille, il fallait prêter serment en picard. Qui connaît<br />
encore les fabliaux de Gauthier le Leu ? Qui pourrait achever Le voyage en Sicile que<br />
la mort empêcha Adam de la Halle d’écrire jusqu’au bout ? Le picard était la langue<br />
de Philippa de Hainault, épouse du roi d’Angleterre Edouard III. Les « jeux partis »<br />
ont inspiré Chaucer et l’on imagine volontiers les repas-spectacles de poésie tels que<br />
fêtés par la « Confrérie de la Sainte Candeille » d’Arras. C’est aussi en picard que l’on<br />
joua les grandes Passions à Mons dès 1501, et plus tard à Amiens. Campagnes fertiles,<br />
villes prospères grâce (notamment) au textile, la bourgeoisie aura ses chartes de<br />
privilèges dès le XIième siècle.<br />
L’âge d’or de la littérature picarde semble culminer au XIIIième siècle :<br />
fabliaux, chroniques, théâtre, poésie lyrique, épique, didactique, allégorique. La<br />
faculté des arts de l’université de Paris comptait alors quatre « nations »: la française,<br />
l’anglaise, la normande, la picarde ; et Roger Bacon, en voyage sur le continent,<br />
classifie les langues d’oïl en : francien, normand, picard et bourguignon.<br />
Au XIVième siècle, Barthélemy l’Anglais situe la Picardie entre la France, le<br />
Rhin et la mer… les frontières fluctuent au gré des alliances et des batailles. Nous<br />
sommes toujours « entre » : aux confins de la Germania et de la Romania, bon nombre<br />
d’invasions et de conquêtes nous ont harmonieusement métissés — je revendique la<br />
pureté de cet oxymoron. Champ de bataille puis fête cosmopolite, tel est le sort des<br />
marches.<br />
Comme tous les noms de pays disparus de la carte, la Picardie rêve de<br />
résurrection. Mais la langue picarde n’est plus utilisée dans la vie publique (école,<br />
armée, administration, tribunaux). Mes quatre grands-parents étaient déjà diglosses,<br />
scolarisés en français. Mon père connaissait par cœur des vers d’Henri Tournelle et de<br />
succulentes fables de Bosquètia — pour la grande joie des réunions de famille. Ma<br />
mère est encore abonnée à un périodique aussi mince que vivace : El Borain. Je<br />
collectionne les lexiques, les recueils de proverbes — reliques d’une langue qui n’a<br />
pas survécu à son auto-censure. Dans un livre à paraître en 2003, je raconte comment,<br />
il y a vingt ans à peine, j’ai cherché un locuteur picard dans une assemblée littéraire<br />
au pays natal : j’ai fini par trouver… un immigré abruzzais !<br />
— Rose-Marie François<br />
Rose-Marie François<br />
La punition<br />
Rue du Temple, à Douvrain, vers la fin des années quarante.<br />
- « Au revoir !<br />
- Au revoir à toi !<br />
- Si on ne se voit plus, on s’écrira !<br />
- Sur une feuille de chou avec une plume de chat ! »