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<strong>LUCRECE</strong> : <strong>De</strong> <strong>rerum</strong> <strong>natura</strong> COMMENTAIRES<br />
<strong>De</strong> <strong>la</strong> <strong>Nature</strong><br />
NB : Un «clic» ou un «tap» sur les mots ou numéros en bleu fait revenir au texte. Certains<br />
logiciels offrent aussi une commande spéciale pour ce faire.<br />
818 - Lucrèce se montre ici «structuraliste» bien avant <strong>la</strong> lettre !<br />
L’idée que <strong>la</strong> disposition des éléments joue un rôle dans leurs effets est vraiment une<br />
idée «révolutionnaire» pour l’époque.<br />
869 - Ici, Lucrèce utilise l’artifice rhétorique de <strong>la</strong> démonstration par l’absurde: si tous<br />
les corps sont formés d’éléments hétérogènes, ceux qui sortent de <strong>la</strong> terre le sont<br />
aussi, et <strong>la</strong> terre n’est donc pas de <strong>la</strong> terre...<br />
Il invite d’ailleurs son lecteur à appliquer le même principe «quia absurdum» à toutes les<br />
choses.<br />
883 - L’interprétation de ce vers n’est pas simple.<br />
Je respecte ici <strong>la</strong> lettre du texte, mais sans conviction, à <strong>la</strong> suite de [JP] et [AE] qui traduisent<br />
ainsi: «que nourrit notre corps», et [JKP] «que notre corps nourrit».<br />
Mais [HC], de son côté, traduit par «qu’il [le blé] nourrit dans notre corps» ce qui est en<br />
contradiction, il est vrai, avec le passif «aluntur», mais bien plus satisfaisant du point de<br />
vue du sens !<br />
En effet, puisqu’il s’agit du blé, il est un peu surprenant que celui-ci soit considéré comme<br />
«nourri par notre corps»... On peut plus facilement suivre l’idée de Lucrèce dans l’autre<br />
sens : le blé, puisqu’il est l’aliment de notre corps, doit contenir du sang et « d’autres<br />
choses » dont ce corps est formé.<br />
C’est aussi ce que semblent avoir compris les anciens traducteurs:<br />
[PO] : « des germes de sang et de toutes les moindres parties du corps que le blé alimente<br />
et auxquelles il s’incorpore »<br />
[LA] : « des traces ou de sang ou des autres parties auxquelles le blé s’unit ».<br />
914 - Ce que Lucrèce explique ici est ce que nous appelons aujourd’hui «pertinence».<br />
On retrouve donc là ce qui a déjà été évoqué plus haut: <strong>la</strong> «double articu<strong>la</strong>tion<br />
du <strong>la</strong>ngage», qui fait qu’avec peu de lettres on puisse créer une infinité de mots, et aussi le<br />
principe «structuraliste» qui en découle, à savoir que <strong>la</strong> position d’un élément a des répercussions<br />
sur l’ensemble. N’oublions pas que c’est précisément dans le domaine du <strong>la</strong>ngage<br />
que les travaux du «Cercle de Prague» ont conduit a ce qui est devenu «structuralisme»<br />
par <strong>la</strong> suite, avec <strong>la</strong> fortune que l’on sait.<br />
960 - Le raisonnement de Lucrèce suit celui d’ Épicure, tel qu’on peut le lire dans <strong>la</strong><br />
«Lettre à Hérodote» reproduite par Diogène Laërce (41): «Mais de plus, le tout est illimité.<br />
En effet, ce qui est limité a une extrémité; or l’extrémité s’observe à côté de quelque chose<br />
d’autre. Par conséquent, n’ayant pas d’extrémité, il n’a pas de limite; et, n’ayant pas de<br />
limite, il sera illimité, et non pas limité.» (in [JP], p. 16).<br />
Cicéron a repris ce<strong>la</strong> dans son «<strong>De</strong> divinatione», de façon encore plus c<strong>la</strong>ire (Il s’adresse -<br />
rhétoriquement - à son frère Quintus) : «Sais-tu comment Épicure, traité par les Stoïciens<br />
d’esprit obtus et sans culture, prouve que dans <strong>la</strong> nature ce que nous appelons l’univers<br />
est infini. «Ce qui est fini, dit-il, a une extrémité.» Qui pourrait ne pas accorder<br />
ce<strong>la</strong>? «Ce qui a une extrémité peut être vu de l’extérieur.» Ce<strong>la</strong> aussi, il faut le concéder.<br />
«Mais ce qui constitue l’univers, <strong>la</strong> totalité des êtres ne peut être vu du dehors.»<br />
Ce<strong>la</strong> non plus on ne peut le nier. Donc puisqu’il n’y a rien d’extérieur à l’univers, il<br />
est nécessairement infini.» (Cicéron, <strong>De</strong> Divinatione, II,L, 103. Traduction française:<br />
Charles APPUHN, Cicéron. <strong>De</strong> <strong>la</strong> divination - du destin - Académiques. Paris, C<strong>la</strong>ssiques<br />
Garnier, 1936).<br />
Curieusement, [JKT] dans sa note I,94 dit que «Cette conclusion, empruntée à Épicure<br />
est l’objet de moqueries de <strong>la</strong> part de Cicéron (Div, II, 103) , qui voit là une<br />
preuve de <strong>la</strong> stupidité de son auteur.» Or on le voit dans <strong>la</strong> citation ci-dessus, Cicéron<br />
déc<strong>la</strong>re bien, au contraire, que ce sont «les Stoïciens» qui qualifient Épicure «d’esprit<br />
obtus et sans culture»?<br />
1051 - Lucrèce semble fournir ici une «explication» qui ne figure pas explicitement<br />
ainsi dans Épicure, comme l’a noté [JKP]. On peut compendre que les corps (composés)<br />
sont sans cesse exposé à des déperditions, qui se trouvent compensées par<br />
l’arrivée permanente de nouveaux «corps premiers» - ce qui suppose, en effet que<br />
le «réservoir» de matière soit infini... On peu évidemment à ce propos songer au<br />
«rayonnement cosmique», dont certains pensent qu’il est <strong>la</strong> trace du «big-bang» originel.<br />
Mais ce «big-bang», qui n’est au fond que <strong>la</strong> version «scientifique» de <strong>la</strong> Genèse<br />
divine... n’est pas du tout <strong>la</strong> façon dont Épicure, et après lui Lucrèce, conçoivent<br />
l’univers: pour eux, celui-ci n’a ni commencement ni fin, et <strong>la</strong> matière est infinie.<br />
1068 - Lucrèce, suivant son maître Épicure, juge stupide <strong>la</strong> théorie des «antipodes»,<br />
et cette condamnation concerne plus précisément les Stoïciens tenants d’un<br />
univers sphérique au centre d’un espace infini. Cicéron (Academ. II, 123), parle en<br />
effet c<strong>la</strong>irement de gens qui se tiennent debout à l’opposé de nous («qui aduersis uestigiis<br />
stent contra nostra uestigia, quos antipodas uocatis»). Mais ce n’est pas pour<br />
autant que les Stoïciens avaient eu à l’avance l’idée de <strong>la</strong> gravitation! S’ils par<strong>la</strong>ient<br />
d’une «attraction», c’était pour «expliquer» que les corps tendaient à «aller vers le<br />
centre» - ce dont Lucrèce se moque. Cette «attraction» n’était pas conçue comme une<br />
«action à distance», ce que Newton sera le premier à formuler nettement. Si l’oeuvre<br />
de Lucrèce est méritoire pour ses conceptions philosophiques, il ne faut pas chercher<br />
chez lui des théories scientifiques: c’est un poète, et non un «savant»... et d’ailleurs<br />
parler de «science» telle que nous <strong>la</strong> concevons serait un anachronisme pour le Ier<br />
siècle de notre ère.