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Sur les traces de Virginia Woolf, à la rencontre d ... - Philippe Legouis

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divisant et subdivisant, <strong>les</strong> horloges <strong>de</strong> Harley Street grignotaient <strong>la</strong> journée <strong>de</strong> juin ». Marquant <strong>la</strong><br />

temporalité, <strong>les</strong> horloges sonnent vigoureusement, mais leur son sourd semble absorbé dans un<br />

brouil<strong>la</strong>rd <strong>de</strong> ouate intemporel : cette danse du Temps enivre le lecteur et le submerge…<br />

Nous sommes le dimanche 4 mai 2003 et je rassemble dès mon lever <strong>les</strong> notes prises durant <strong>la</strong> nuit<br />

pour <strong>les</strong> sceller sur le « disque dur » <strong>de</strong> mon ordinateur ; j’ai achevé le roman : « Mrs Dalloway » <strong>à</strong> 3<br />

heures 40 :<br />

L’intensité <strong>de</strong>s mots, dans cet ouvrage, est singulière et déstabilisante, elle vous emporte dans un<br />

tourbillon et provoque en vous une sensation troub<strong>la</strong>nte, comme un choc. Les personnages vivent<br />

émotionnellement dans le récit plus que logiquement, ils évoluent d’une manière chimérique selon le<br />

courant <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience- ils vivent, <strong>à</strong> travers <strong>la</strong> plume <strong>de</strong> <strong>la</strong> romancière, dans le cœur et l’esprit <strong>de</strong><br />

C<strong>la</strong>rissa Dalloway et dans ceux <strong>de</strong> Peter Walsh. Aucun détail n’est l<strong>à</strong> par hasard : tout s’enchaîne avec<br />

<strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> intelligence, finesse, observation et beauté esthétique. Le Temps est compressé ; <strong>les</strong><br />

actions, <strong>les</strong> scènes, sont étrangement mêlées dans un Temps qui <strong>les</strong> unit- cette danse étonnante vous<br />

grise et vous touche en profon<strong>de</strong>ur pour vous faire tomber en complète « addiction ». Curieusement,<br />

l’on ne peut se détacher <strong>de</strong> ces pages si envoûtantes, un climat saisissant vous déstabilise sans<br />

violence, en douceur, sans même que l’on puisse s’en rendre compte ; le lecteur se trouve alors fasciné<br />

par cette subtile intensité qui <strong>de</strong>nsifie chaque mot...<br />

Dans « Mrs Dalloway », <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> a transposé certains <strong>de</strong> ses traits personnels <strong>les</strong> plus sensib<strong>les</strong>.<br />

En outre et <strong>de</strong> manière évi<strong>de</strong>nte <strong>à</strong> travers <strong>la</strong> dimension <strong>de</strong> C<strong>la</strong>rissa Dalloway, son personnage central,<br />

mais également <strong>de</strong> par <strong>les</strong> rapports que Septimus Warren-Smith entretient avec <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins par<br />

exemple. En effet, <strong>la</strong> romancière règle ses propres comptes avec ces messieurs <strong>les</strong> savants <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé ;<br />

<strong>à</strong> travers <strong>la</strong> fiction, elle évoque en fait <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins qu’elle côtoyait elle-même dans <strong>la</strong> réalité pour sa<br />

propre pathologie et pour <strong>la</strong>quelle ceux-ci ne lui étaient <strong>la</strong> plupart du temps d’aucune utilité : ils lui<br />

prescrivaient notamment <strong>de</strong> longues cures <strong>de</strong> repos qui <strong>la</strong> ressourçaient un peu physiquement sans<br />

toutefois apporter <strong>à</strong> son mal une solution durable. C’est pourquoi dans ses ouvrages elle <strong>les</strong> caricature<br />

fréquemment <strong>de</strong> manière incisive. Septimus représente aussi le visionnaire, l’inspiration géniale<br />

(éc<strong>la</strong>irée) dans <strong>les</strong> phases hautes voire obsessionnel<strong>les</strong> <strong>de</strong> sa pathologie dépressive mais également<br />

l’herméticité <strong>à</strong> n’être pas compris d’autrui : voil<strong>à</strong> en ces termes le concept <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s angoisses<br />

<strong>de</strong> <strong>Virginia</strong> <strong>à</strong> l’égard <strong>de</strong> son art (NB : le thème <strong>de</strong> <strong>la</strong> « folie » sera un concept et sous <strong>de</strong>s formes<br />

différentes souvent repris et analysé par <strong>la</strong> romancière au cours <strong>de</strong> son Œuvre- il <strong>la</strong> concernait <strong>de</strong><br />

près comme le spectre <strong>de</strong> ses rechutes). Septimus apparaît également dans <strong>la</strong> nouvelle : « Le Premier<br />

Ministre »- sa lucidité <strong>à</strong> appréhen<strong>de</strong>r le mon<strong>de</strong> au travers <strong>de</strong> ses apparences <strong>les</strong> plus trompeuses et<br />

immédiates y est, une fois encore, nettement mise en évi<strong>de</strong>nce : comme <strong>la</strong> romancière, il voit ce que<br />

<strong>les</strong> autres ne voient pas.<br />

Pour achever tout <strong>à</strong> fait l’analyse <strong>de</strong> certains éléments <strong>de</strong> cette transposition, l’on peut encore mettre<br />

en évi<strong>de</strong>nce le phénomène <strong>de</strong>s bals et <strong>de</strong>s dîners, aussi importants pour <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> que pour<br />

C<strong>la</strong>rissa Dalloway ; el<strong>les</strong> y trouvent <strong>la</strong> Vie et une source unique d’observation et <strong>de</strong> communication,<br />

une beauté esthétique et fastueuse aussi en ces mondanités au travers <strong>de</strong>s décors et par l’habillement<br />

<strong>de</strong>s invités par exemple, mais el<strong>les</strong> y <strong>rencontre</strong>nt également une singulière inconsistance, une très<br />

gran<strong>de</strong> superficialité- au milieu <strong>de</strong> tous ses invités, C<strong>la</strong>rissa semble finalement bien isolée : elle<br />

papillonne <strong>de</strong> l’un <strong>à</strong> l’autre, mais se retrouve enfin elle-même alors qu’elle est seule dans une pièce<br />

(c’est un trait propre <strong>à</strong> l’état dépressif : même entouré, vous êtes seul, terriblement c<strong>la</strong>irvoyant et<br />

hypersensible, comme vivant un état d’extériorité par rapport aux choses et aux gens ; une<br />

« radiographie » <strong>de</strong> votre entourage se déclenche alors)...<br />

Pour en revenir <strong>à</strong> présent au pouvoir <strong>de</strong>s mots <strong>de</strong> <strong>la</strong> romancière, l’on peut affirmer qu’ils reflètent dans<br />

cet ouvrage, comme <strong>à</strong> travers toute son Œuvre, une puissance, une beauté incomparab<strong>les</strong> qui touchent<br />

le cœur du lecteur au plus profond. Empreint d’une fine sensibilité toute féminine, ce roman provoque<br />

alors un double émoi pour tout homme qui sait <strong>la</strong> décrypter et l’apprécier, <strong>la</strong> comprendre. Pour<br />

exemp<strong>les</strong> <strong>de</strong> sensibilités homme-femme naturellement et foncièrement différentes, il faut citer <strong>la</strong> force<br />

d’une femme, C<strong>la</strong>rissa, par rapport <strong>à</strong> celle d’un homme, Peter Walsh qui, au fond <strong>de</strong> lui, a parfois bien<br />

du mal <strong>à</strong> assumer son <strong>de</strong>stin, mais aussi <strong>la</strong> force et <strong>la</strong> sensibilité <strong>de</strong> C<strong>la</strong>rissa (osmose parfaitement<br />

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