Sur les traces de Virginia Woolf, à la rencontre d ... - Philippe Legouis
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Chapitre II<br />
« Mrs Dalloway »<br />
Le roman : « Mrs Dalloway » fut conçu <strong>à</strong> partir <strong>de</strong> l’automne 1920 en même temps que <strong>la</strong> romancière<br />
écrivait : « La Chambre <strong>de</strong> Jacob ». Elle le rédigea principalement <strong>à</strong> Hogarth House (Richmond) et il<br />
fut publié au printemps 1925, pério<strong>de</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong>quelle <strong>les</strong> époux <strong>Woolf</strong> ont alors réintégré le cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cité<br />
londonienne pour vivre <strong>à</strong> Tavistock Square (Bloomsbury) pendant <strong>les</strong> quatorze années qui vont suivre.<br />
Le lecteur peut se surprendre <strong>à</strong> confondre, lorsqu’il <strong>les</strong> évoque, <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> et Mrs Dalloway,<br />
comme si, dans certaines parties <strong>de</strong> l’ouvrage, el<strong>les</strong> par<strong>la</strong>ient d’une même voix. L’action du roman se<br />
situe au mois <strong>de</strong> juin 1923 ce qui, temporellement, contribue également <strong>à</strong> cette transposition.<br />
Au risque d’appréhen<strong>de</strong>r d’abord cet ouvrage d’une façon formelle et donc réductrice, l’on ne peut<br />
parler, au sens premier du terme, d’une histoire structurée. « Mrs Dalloway » marqua en effet un<br />
tournant radical dans l’anti-construction romanesque c<strong>la</strong>ssique au profit d’une autre quête : se <strong>la</strong>isser<br />
gui<strong>de</strong>r <strong>à</strong> écrire librement au rythme du « stream of consciousness » (courant <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience). Je<br />
trahirais pourtant cette quintessence essentielle en précisant que l’ouvrage évoque un personnage<br />
central : C<strong>la</strong>rissa Dalloway, qui prépare une gran<strong>de</strong> réception ayant lieu le soir-même. Une journée<br />
entière va alors s’écouler... C<strong>la</strong>rissa Dalloway est une femme mondaine aimant l’aspect fastueux <strong>de</strong>s<br />
réceptions et donnant aux autres l’impression qu’elle va bien mais vivant, par opposition, un profond<br />
et fondamental bouleversement intérieur en une recherche vitale <strong>de</strong> consistance dans sa vie ; en elle,<br />
<strong>de</strong> longs monologues vont suivre un étrange courant intemporel…<br />
C<strong>la</strong>rissa Dalloway (comme <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong>) est intuitive et dotée d’une formidable sensibilité, d’une<br />
singulière faculté <strong>de</strong> ressentir, observer, analyser <strong>les</strong> choses et <strong>les</strong> gens et ainsi « disséquer » <strong>les</strong><br />
différentes scènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie ; mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> sens, <strong>de</strong> cœur, d’intuition (presque visionnaire parfois) et<br />
d’intelligence, réceptrice <strong>de</strong>s éléments qui l’entourent, le Temps n’a pas <strong>de</strong> prise sur elle, elle s’en<br />
échappe <strong>à</strong> l’envi, du présent au passé, éphémère et furtive, s’interrogeant parfois sur le futur et sur <strong>la</strong><br />
mort : « (...) n’était-ce pas conso<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> croire que <strong>la</strong> mort était le terme <strong>de</strong> tout ? Mais que d’une<br />
certaine façon, dans <strong>les</strong> rues <strong>de</strong> Londres, dans le flux et le reflux <strong>de</strong>s choses, ici, l<strong>à</strong>, elle survivrait,<br />
Peter survivrait, ils survivraient l’un et l’autre, elle ferait partie, elle en était sûre, <strong>de</strong>s arbres <strong>de</strong> chez<br />
elle, <strong>de</strong> cette maison, l<strong>à</strong>, pourtant si <strong>la</strong>i<strong>de</strong> et dé<strong>la</strong>brée ; elle serait mêlée <strong>à</strong> <strong>de</strong>s gens qu’elle n’avait<br />
jamais rencontrés ; étendue comme une brume entre ceux qu’elle connaissait le mieux, qui <strong>la</strong><br />
soulèveraient sur leurs branches, comme elle avait vu <strong>les</strong> arbres soulever <strong>la</strong> brume, mais elle s’étendait<br />
si loin, sa vie, elle-même (…) ».<br />
« Mrs Dalloway » est une formidable leçon <strong>de</strong> Vie- <strong>les</strong> mots reflètent cette intensité. Le Temps se<br />
distille tout au long <strong>de</strong> cette journée <strong>de</strong> juin. Le lecteur ressent une <strong>de</strong>nsité émotionnelle forte et<br />
déroutante. Densité <strong>de</strong>s sensations, <strong>de</strong>s sentiments, <strong>de</strong>s actions, même <strong>les</strong> plus anodines et propices <strong>de</strong><br />
suite <strong>à</strong> une envolée méditative : une petite portion <strong>de</strong> temps si <strong>de</strong>nse, si <strong>de</strong>nse...<br />
<strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> flirte avec le Temps <strong>à</strong> travers une introspection <strong>de</strong> chaque être et <strong>de</strong> chaque moment,<br />
présent ou passé. Aucun chapitre n’existe vraiment ; jusque dans <strong>la</strong> construction-même <strong>de</strong> l’ouvrage,<br />
tout s’enchaîne et tout se lie. Une journée passe et dans cette journée, c’est effectivement <strong>la</strong> vie toute<br />
entière <strong>de</strong> C<strong>la</strong>rissa Dalloway qui se déroule...<br />
<strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> traduit <strong>les</strong> vibrations <strong>de</strong> ses personnages par <strong>de</strong>s liens hors du Temps qui se tissent<br />
entre eux. Les faits et <strong>les</strong> époques sont suggérés <strong>de</strong> manière décousue mais liée et déroutent le lecteur,<br />
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