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Sur les traces de Virginia Woolf, à la rencontre d ... - Philippe Legouis

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son « maître » spirituel qui l’équilibrait, <strong>la</strong> guidait et nuançait ses fougues et ses excès : « En moi, une<br />

p<strong>la</strong>ce centrale reste vi<strong>de</strong> » écrivit-elle). « Quelque chose gît en moi, profondément enseveli. Par<br />

moments, je crois m’en saisir. Mais mieux vaut que ce secret reste enfoui dans <strong>les</strong> profon<strong>de</strong>urs,<br />

jusqu’au jour où il pourra germer. A <strong>la</strong> fin d’une longue vie, par hasard, dans un instant <strong>de</strong> révé<strong>la</strong>tion,<br />

je parviendrai <strong>à</strong> poser <strong>la</strong> main sur ce secret, qu’en ce moment mes doigts risquent <strong>de</strong> briser » (« (...) <strong>la</strong><br />

silhouette <strong>de</strong> Thoby... cet étrange fantôme. Je pense parfois <strong>à</strong> <strong>la</strong> mort comme <strong>à</strong> <strong>la</strong> fin d’une excursion<br />

que j’aurais entreprise lorsqu’il mourut. Il me semble que je vais rentrer et dire : « Tiens, tu es l<strong>à</strong> ! »<br />

« Journal » 26/12/1929). Peu <strong>à</strong> peu, <strong>la</strong> mort va revêtir <strong>la</strong> forme d’un ennemi insidieux et brutal contre<br />

lequel il convient en toutes circonstances <strong>de</strong> résister. Il s’agit bien l<strong>à</strong> d’un défi et d’une attitu<strong>de</strong><br />

réactive <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie supp<strong>la</strong>ntant alors <strong>la</strong> mort avec courage et panache. Et c’est alors, dans une fiction<br />

transposée pour <strong>Virginia</strong>, <strong>la</strong> curiosité <strong>à</strong> l’égard <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie qui revient <strong>à</strong> petits pas, quand bien même <strong>la</strong><br />

torpeur et le <strong>de</strong>uil perdurent et que <strong>les</strong> souvenirs restent présents, douloureux et sacrés (NB : ce<br />

schéma constructif et combatif est fondamental dans <strong>la</strong> compréhension du personnage <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong><br />

<strong>Woolf</strong> et notamment pour sceller ce <strong>de</strong>rnier dans une image définitivement positive- ô justice !).<br />

Pourtant, au fil <strong>de</strong> l’ouvrage et du Temps qui passe, <strong>les</strong> personnages vont s’étioler, entre Vie et<br />

ténèbres, <strong>à</strong> l’image <strong>de</strong> Bernard flottant au Crépuscule ; mais finalement et <strong>à</strong> travers lui, dans <strong>la</strong> beauté,<br />

l’émotion et <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur, c’est le sentiment <strong>de</strong> vie et d’éternel combat qui triomphent...<br />

Son art pour <strong>la</strong> biographie-fiction, initié en 1928 avec <strong>la</strong> parution <strong>de</strong> : « Or<strong>la</strong>ndo », prendra une<br />

tournure tout <strong>à</strong> fait exceptionnelle et une rare finesse en <strong>la</strong> parution en 1933 <strong>de</strong> : « Flush (une<br />

biographie) », qui fut un très grand succès public. En effet voici l’ouvrage, en une idée géniale, d’une<br />

autre forme <strong>de</strong> mutation. Le personnage qui eût pu être au centre <strong>de</strong> cette biographie est Elizabeth<br />

Barrett, poétesse, essayiste et pamphlétaire britannique née en 1806 et décédée en 1861. Cette artiste<br />

se maria <strong>à</strong> Robert Browning (1812-1889), poète et dramaturge britannique, reconnu, avec Alfred<br />

Tennyson, comme l'un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux plus grands créateurs poétiques <strong>de</strong> l'Angleterre victorienne, avec<br />

lequel elle entretint avant son mariage une longue re<strong>la</strong>tion épisto<strong>la</strong>ire enf<strong>la</strong>mmée et assidue. Robert<br />

Browning enleva finalement sa dulcinée pour <strong>la</strong> soustraire <strong>à</strong> l’austérité familiale et notamment<br />

l’autorité paternelle et l’épouser en Italie le 12 septembre 1846, pays dans lequel <strong>les</strong> amoureux<br />

émigreront pour y vivre une quinzaine d’années jusqu’<strong>à</strong> <strong>la</strong> mort d’Elizabeth Barrett. Cet enlèvement<br />

au service d’un amour puissant qui <strong>la</strong> ressuscitera soustraira <strong>de</strong> fait miss Barrett <strong>à</strong> l’ennui et <strong>à</strong> son<br />

existence morne et figée, sclérosée qui lui était imposée <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> son ado<strong>les</strong>cence quand elle<br />

tomba gravement ma<strong>la</strong><strong>de</strong>.<br />

Dans cet ouvrage, fiction inspirée d’une idylle épique et chevaleresque <strong>de</strong>venue légendaire en<br />

Angleterre et d’une biographie néanmoins bien réelle (celle <strong>de</strong> miss Barrett, mais aussi celle <strong>de</strong> Mr<br />

Browning et qui plus est celle du chien Flush qui a réellement existé), <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> dressera non<br />

pas un premier p<strong>la</strong>n direct <strong>de</strong> <strong>la</strong> poétesse mais elle personnifiera avec une virtuosité et un talent<br />

étonnants son chien, un cocker « spaniel », en lui prêtant une intelligence supérieure. Elle fera ainsi <strong>de</strong><br />

lui un miroir, un compagnon (philosophe) pourvu d’un rôle d’observateur hors pair au centre <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

gran<strong>de</strong> histoire d’amour <strong>de</strong> sa maîtresse, Flush l’accompagnant notamment en Italie dans ses<br />

pérégrinations et aventures amoureuses. Il s’agira pour <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux protagonistes d’une personnification<br />

en forme d’i<strong>de</strong>ntification presque physique <strong>à</strong> certains égards, <strong>la</strong> coiffure pourvue <strong>de</strong> lour<strong>de</strong>s ang<strong>la</strong>ises<br />

dont était parée Elizabeth Barrett éc<strong>la</strong>irant sans aucun doute en <strong>la</strong> matière.<br />

C’est le chien le héro car c’est <strong>à</strong> travers lui que <strong>les</strong> scènes sont animées : l’animal est celui qui observe<br />

et raconte. Le récit est mené <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois directement par <strong>la</strong> romancière qui exprime <strong>la</strong> vision et <strong>les</strong><br />

ressentis <strong>de</strong> Flush (<strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong>, qui connaît très bien <strong>les</strong> chiens- certainement initiée aussi en <strong>la</strong><br />

matière par Léonard qui <strong>les</strong> aimait beaucoup- <strong>de</strong>vient le chien), mais est aussi éc<strong>la</strong>iré <strong>à</strong> travers <strong>la</strong><br />

correspondance d’Elizabeth Barrett. L’occasion est aussi <strong>de</strong> décrire l’Italie par le prisme olfactif et<br />

entêtant <strong>de</strong>s o<strong>de</strong>urs méditerranéennes estiva<strong>les</strong> (rappelons que <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> est alors dotée d’une<br />

truffe qui s’ajoute <strong>à</strong> ses sens légendaires et son acuité non moins légendaire <strong>de</strong> retranscription<br />

sensorielle). Mais, comme dans : « Or<strong>la</strong>ndo », le message dépasse le cadre <strong>de</strong> l’histoire annoncée, une<br />

allégorie satirique se dégage, mettant <strong>à</strong> nu <strong>les</strong> conventions et illusions <strong>de</strong> l’ère victorienne et<br />

propé<strong>de</strong>utique philosophique existentielle. Flush, initialement brimé <strong>à</strong> l’image <strong>de</strong> sa maîtresse va, <strong>à</strong><br />

l’occasion <strong>de</strong> cet enlèvement chevaleresque Apennin, se débarrasser <strong>de</strong> sa rigidité et <strong>de</strong> son éducation<br />

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