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Sur les traces de Virginia Woolf, à la rencontre d ... - Philippe Legouis

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dérogera donc <strong>à</strong> <strong>la</strong> tendance structurelle c<strong>la</strong>ssique du roman en construisant <strong>les</strong> siens sur un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

fonctionnement infiniment plus proche <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée humaine (« the stream of consciousness » : le<br />

courant <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience), cherchant <strong>à</strong> décrire <strong>la</strong> Vie par ses sens et son esprit, en « temps réel » pour<br />

reprendre une expression actuelle, en suivant le cours <strong>de</strong> ses vibrations intérieures, en suivant le vrai<br />

fonctionnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée humaine, <strong>la</strong>quelle, par essence, n’est jamais structurée et est<br />

foncièrement vo<strong>la</strong>tile, évoluant avec une rapidité fulgurante d’une pensée vers une autre, d’une<br />

humeur <strong>à</strong> une autre ou du présent au passé, définissant alors l’individu sous mille et une facettes-<br />

l’être humain n’est donc jamais fini, il évolue jusqu’<strong>à</strong> sa mort : chaque jour, chaque minute, je suis un<br />

autre. Se trouve alors démontée <strong>la</strong> structure traditionnelle du roman et ses procédés usuels <strong>de</strong> narration<br />

qui ont tendance <strong>à</strong> sertir <strong>les</strong> personnages dans <strong>de</strong>s pages, <strong>à</strong> <strong>les</strong> fixer, <strong>à</strong> <strong>les</strong> figer. Le Temps prendra<br />

alors, en ses écrits, une toute autre dimension et glissera <strong>à</strong> l’envi, comme par magie, <strong>la</strong> fiction<br />

supp<strong>la</strong>ntant <strong>la</strong> réalité, puis l’inverse ; le dialogue ou <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription, <strong>la</strong> narration fera alors p<strong>la</strong>ce au<br />

ressenti : tout s’enchaînera sans logique, mais avec vie et <strong>à</strong> <strong>la</strong> vitesse <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée. L’entre<strong>la</strong>cement<br />

d’idées et <strong>de</strong> sensations, semb<strong>la</strong>nt <strong>à</strong> priori anarchique, se révèlera finalement en un tissu <strong>de</strong> liens<br />

complexes, un tourbillon traduisant une fois encore une formidable propension <strong>à</strong> l’évasion. Il doit<br />

d’ailleurs être mis en évi<strong>de</strong>nce que le style <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong>, ou même <strong>la</strong> syntaxe dans ses ouvrages,<br />

traduisent cette liberté <strong>de</strong> vagabondage <strong>de</strong> son esprit, toujours fulgurant et transperçant. Le lecteur qui<br />

<strong>la</strong> découvre peut être dérouté par <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> ses écrits, ce qui sera particulièrement le cas du<br />

roman : « Les Vagues » ou encore, dans une moindre mesure, <strong>de</strong> : « Mrs Dalloway ». <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong><br />

créera donc bien un nouveau style <strong>de</strong> roman et même d’écriture et <strong>de</strong> retranscription, <strong>de</strong> traduction,<br />

mais il est très important <strong>de</strong> noter également que ses textes, malgré leur aspect parfois déroutant et<br />

impalpable, gar<strong>de</strong>ront en tous temps une très gran<strong>de</strong> cohérence, une maîtrise totale <strong>de</strong> <strong>la</strong> forme, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

structure, au service d’une déstructuration fondamentale. Elle s’avèrera aussi, en plus <strong>de</strong> ses qualités<br />

aiguisées d’essayiste en son combat pour <strong>la</strong> défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> cause féminine, une redoutable critique<br />

littéraire et également une talentueuse mais atypique biographe. Il convient enfin <strong>de</strong> préciser que<br />

malgré l’aspect complètement innovant <strong>de</strong> son style romanesque et ses facultés personnel<strong>les</strong> <strong>à</strong><br />

appréhen<strong>de</strong>r et analyser avec sagacité <strong>les</strong> mutations du XX ème siècle, <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> <strong>de</strong>meurera tout<br />

<strong>de</strong> même très imprégnée <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments et valeurs c<strong>la</strong>ssiques <strong>de</strong>s sièc<strong>les</strong> précé<strong>de</strong>nts, garants pour elle<br />

d’une finesse précieuse et d’une culture inouïe.<br />

Le roman : « La chambre <strong>de</strong> Jacob » met en scène Mrs F<strong>la</strong>n<strong>de</strong>rs, veuve et ses trois garçons. Jacob<br />

F<strong>la</strong>n<strong>de</strong>rs est c<strong>la</strong>irement l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> Thoby, le frère disparu <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong> : il évolue dans un cadre<br />

estudiantin qui est, <strong>à</strong> travers <strong>la</strong> fiction, le contexte re<strong>la</strong>tionnel originel <strong>de</strong> Thoby et <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s<br />

étudiants <strong>de</strong> Cambridge, terreau idéologique du « groupe <strong>de</strong> Bloomsbury ». Dans <strong>la</strong> fiction, Jacob<br />

F<strong>la</strong>n<strong>de</strong>rs entre en ce milieu en 1906, il a dix-neuf ans et, voué <strong>à</strong> un <strong>de</strong>stin tragique, sera tué lors <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

gran<strong>de</strong> guerre. Thoby est, dans <strong>la</strong> réalité, décédé brutalement <strong>de</strong> <strong>la</strong> fièvre typhoï<strong>de</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l’année<br />

1906, il avait alors vingt-six ans. Le lecteur entre donc, par le biais <strong>de</strong> ce roman, dans <strong>les</strong> sources<br />

intellectuel<strong>les</strong>, spirituel<strong>les</strong> et culturel<strong>les</strong> <strong>de</strong> ce milieu estudiantin et, <strong>à</strong> l’occasion <strong>de</strong> cette évocation,<br />

constate combien <strong>les</strong> uns et <strong>les</strong> autres étaient férus <strong>de</strong> lecture voire d’écriture et assoiffés <strong>de</strong><br />

connaissances, <strong>de</strong> romans et <strong>de</strong> poésie, l’intellect et <strong>les</strong> sens en tous temps stimulés par <strong>la</strong> fougue <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

jeunesse. Thoby (Jacob), comme sa sœur <strong>Virginia</strong>, est toujours en déca<strong>la</strong>ge avec <strong>la</strong> réalité qui lui est<br />

étrangère et avec <strong>la</strong> société dont il scrute <strong>les</strong> faib<strong>les</strong>ses et au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle il ne trouve pas sa p<strong>la</strong>ce.<br />

Au fil <strong>de</strong> l’ouvrage et par une subtile métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> narration où le présent se lie au passé et au futur, le<br />

lecteur découvre peu <strong>à</strong> peu Thoby <strong>de</strong> manière intime en mesurant, <strong>à</strong> travers l’évocation flui<strong>de</strong>, vivante<br />

et contrastée <strong>de</strong>s Eléments et personnages qui l’entourent et lui donnent sa substance, <strong>la</strong> dimension du<br />

personnage, ce qui, <strong>à</strong> ce sta<strong>de</strong>, annonce bien évi<strong>de</strong>mment une façon toute intérieure d’animer <strong>la</strong><br />

f<strong>la</strong>mme <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène romanesque.<br />

Son quatrième roman : « Mrs Dalloway » (1925) poursuivra et <strong>de</strong>nsifiera considérablement cette<br />

singulière approche, ce « système », constituant alors un véritable tournant dans l’intensité et <strong>la</strong><br />

construction <strong>de</strong> l’Œuvre <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> : une pièce maîtresse <strong>de</strong> sa création romanesque, l’une <strong>de</strong><br />

ses œuvres majeures (NB : se reporter au <strong>de</strong>uxième chapitre consacré <strong>à</strong> son analyse).<br />

En 1925, <strong>la</strong> sortie <strong>de</strong> l’ouvrage : « The Common rea<strong>de</strong>r » (« Le lecteur ordinaire ») reflétera cette fois<br />

le côté critique <strong>de</strong> son travail. Elle commencera en fait dès son ado<strong>les</strong>cence <strong>à</strong> exercer ce don avec une<br />

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