Sur les traces de Virginia Woolf, à la rencontre d ... - Philippe Legouis
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moindre mesure, au retour <strong>de</strong>s doutes ou bien encore vers une rechute nerveuse et émotionnelle<br />
brutale, contrecoup physique et moral évi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> cet investissement démesuré pouvant éventuellement<br />
<strong>la</strong> mener vers une nouvelle crise. Mais, <strong>la</strong> plupart du temps, <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> se <strong>la</strong>ncera<br />
immédiatement, ou peu après ce chaos (K.O) passager <strong>à</strong> l’assaut énergique d’un nouvel ouvrage, sa<br />
créativité et son inspiration étant tout <strong>à</strong> fait exceptionnel<strong>les</strong>. Cette dimension physique <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
dépression se traduira également par une somatisation exténuante en <strong>de</strong>s symptômes aussi<br />
handicapants que <strong>de</strong> très violentes migraines répétitives ou encore <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s anorexiques<br />
affaiblissantes. Afin <strong>de</strong> compléter tout <strong>à</strong> fait l’analyse <strong>de</strong> ces vecteurs ma<strong>la</strong>difs (cyclothymiques), il<br />
peut être précisé que <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> subira également bon nombre <strong>de</strong> sautes <strong>de</strong> moral fugaces et<br />
inexpliquées, toujours vécues <strong>de</strong> manière impromptue et brutale par l’intéressée. Ces manifestations<br />
mé<strong>la</strong>ncoliques seront vraisemb<strong>la</strong>blement le reflet d’un système dépressif inconscient ancré en elle<br />
<strong>de</strong>puis fort longtemps (où l’être humain s’habitue alors, par moments, <strong>à</strong> auto-alimenter ce<br />
fonctionnement). <strong>Virginia</strong> verra au cours <strong>de</strong> son existence bon nombre <strong>de</strong> ses proches, <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille<br />
mais aussi d’écrivains ou d’amis <strong>de</strong> sa génération, disparaître. Ce sera par exemple le cas pour le<br />
décès <strong>de</strong> son amie Katherine Mansfield le 9 janvier 1923 pour lequel, dans un premier temps, elle<br />
réagira <strong>de</strong> manière assez froi<strong>de</strong>, puis se sentira ensuite très affectée voire, <strong>de</strong> façon étrange mais<br />
sincère, culpabilisée <strong>à</strong> <strong>de</strong>meurer en vie alors même que <strong>la</strong> romancière néo-zé<strong>la</strong>ndaise ait quitté ce<br />
mon<strong>de</strong> sans avoir pu achever son Œuvre personnelle : « sa mort, comme celle <strong>de</strong> Katherine Mansfield,<br />
m’est une sorte <strong>de</strong> reproche » écrivit-elle dans son Journal le 7 décembre 1933 (NB : elle évoque ici <strong>la</strong><br />
mort d’une autre <strong>de</strong> ses contemporaines : Stel<strong>la</strong> Benson). Il y aura encore <strong>la</strong> disparition <strong>de</strong> Lytton<br />
Strachey le 21 janvier 1932, puis celle <strong>de</strong> Roger Fry le 9 septembre 1934 et malheureusement<br />
l’occasion du décès <strong>de</strong> Julian, fils aîné <strong>de</strong> sa sœur Vanessa, le 18 juillet 1937 : Julian, qui avait rejoint<br />
comme ambu<strong>la</strong>ncier <strong>les</strong> rangs <strong>de</strong>s Républicains pendant <strong>la</strong> guerre civile espagnole, meurt dans<br />
l’exercice <strong>de</strong> sa mission pendant <strong>la</strong> bataille <strong>de</strong> Brunete, <strong>de</strong>rnière bataille livrée par <strong>les</strong> Républicains<br />
pour briser l’encerclement <strong>de</strong> Madrid par <strong>les</strong> fascistes. Fidèle <strong>à</strong> ses convictions humaines et politiques,<br />
il était poète et engagé dans un idéal antifasciste, pacifiste et révolutionnaire (NB : onze mois<br />
auparavant, le poète espagnol Fe<strong>de</strong>rico Garcia Lorca paya lui aussi au prix <strong>de</strong> sa vie son engagement<br />
pour <strong>la</strong> liberté- il fut fusillé le 18 août 1936 <strong>à</strong> Viznar par <strong>de</strong>s rebel<strong>les</strong> anti-Républicains et son corps,<br />
jeté dans une fosse commune, ne fut jamais retrouvé et fait toujours en 2010 l’objet <strong>de</strong> recherches<br />
officiel<strong>les</strong>). <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong>, qui était très proche <strong>de</strong> Julian, soutiendra sa sœur Vanessa dans cette<br />
épreuve infiniment douloureuse qui <strong>la</strong>issera cette <strong>de</strong>rnière, malgré le soutien assidu <strong>de</strong> sa sœur,<br />
inconso<strong>la</strong>ble. Enfin, le 15 janvier 1941, <strong>Virginia</strong> apprendra <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> James Joyce, célèbre écrivain<br />
ir<strong>la</strong>ndais <strong>de</strong> sa génération (« je l’aime car il décrit l’Ir<strong>la</strong>n<strong>de</strong> comme personne » me dit un jour un exami<br />
ir<strong>la</strong>ndais, Tom, rencontré <strong>à</strong> Sydney en janvier 1987).<br />
En ces épreuves <strong>de</strong> <strong>de</strong>uils ou <strong>de</strong> peine, l’écriture sera pour elle salvatrice et, avec l’âge, <strong>la</strong> romancière<br />
apprendra, <strong>à</strong> défaut <strong>de</strong> se préserver totalement <strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance, <strong>à</strong> s’endurcir, <strong>à</strong> se construire <strong>de</strong>s<br />
protections <strong>à</strong> l’égard <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort. Les idées noires et <strong>les</strong> moments <strong>de</strong> dépression qui <strong>les</strong><br />
accompagneront parfois seront donc suivis <strong>de</strong> longues pério<strong>de</strong>s d'accalmies et <strong>de</strong> bonheur réel, voire<br />
d’intense exaltation ; ce sera toujours l’occasion lorsqu’elle écrira et <strong>à</strong> mesure qu’elle connaîtra un<br />
succès grandissant, assidûment aidée par Léonard. Mais durant toute sa vie elle souffrira<br />
régulièrement <strong>de</strong> ces accès <strong>de</strong> mé<strong>la</strong>ncolie qui <strong>la</strong> forceront fréquemment <strong>à</strong> un repos total et qui se<br />
manifesteront parfois d’une manière très inquiétante. A l’époque, l’analyse <strong>de</strong> <strong>la</strong> dépression était<br />
moins fine que <strong>de</strong> nos jours et bien souvent apparentée <strong>à</strong> <strong>la</strong> « folie ». En effet, <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins étaient peu<br />
armés pour combattre ce genre <strong>de</strong> fléau et l’équilibre <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong>, malgré le fait qu’elle en consultera<br />
pas moins d’une douzaine dans sa vie, restera donc très fragile. Ils lui prescriront <strong>de</strong>s hypnotiques<br />
divers <strong>à</strong> <strong>la</strong>rge spectre et <strong>à</strong> forts effets secondaires, sans efficacité profon<strong>de</strong> et durable, voire produisant<br />
<strong>de</strong>s contre effets non escomptés, comble d’une mé<strong>de</strong>cine alors ignorante et donc impuissante. Ce<br />
besoin <strong>de</strong> repos sera, en vieillissant, <strong>de</strong> plus en plus envahissant, <strong>la</strong> gênant considérablement dans son<br />
énorme tâche d’écrivain qu’elle s’était assignée et <strong>la</strong> rendant ainsi plus vulnérable. Mais, <strong>de</strong> manière<br />
constructive, elle fera toujours face <strong>à</strong> ses accès dépressifs et gar<strong>de</strong>ra une approche curieuse, positive et<br />
humaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie, vivant ainsi une formidable Aventure personnelle.<br />
La fragilité <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong> se traduira par <strong>de</strong> fréquents déménagements qui, tout au long <strong>de</strong> sa vie et en<br />
rapport avec sa pathologie chronique, lui seront physiquement nécessaires pour se ressourcer et<br />
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