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Sur les traces de Virginia Woolf, à la rencontre d ... - Philippe Legouis

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Profondément touché par ce film, je décidai dès mon retour <strong>de</strong> <strong>la</strong> première séance d’envoyer une lettre<br />

<strong>à</strong> <strong>la</strong> gérante du cinéma « Le Sirius », petite salle <strong>de</strong> quartier c<strong>la</strong>ssée « Art & Essai », qui venait d’être<br />

le théâtre <strong>de</strong> mon étrange tumulte intérieur- cette réaction, d’elle-même s’imposait :<br />

« 8/4/2003<br />

Madame,<br />

Je suis <strong>la</strong> personne qui suis venue voir : « The Hours » avec tant d’émotion et qui vous en ai fait part<br />

en sortant <strong>de</strong> <strong>la</strong> projection, je souhaitais ce soir achever mon propos. Hormis cette histoire si intense et<br />

si déroutante pour <strong>la</strong>quelle <strong>les</strong> mots semblent vains, ce film est également, pour un homme, un<br />

formidable voyage dans <strong>la</strong> finesse <strong>de</strong>s sentiments féminins, sans oublier le rapprochement troub<strong>la</strong>nt <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> finesse homosexuelle avec <strong>la</strong> délicatesse et <strong>les</strong> approches féminines <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie- <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois instructifs et<br />

poignants, j’ai vécu chacun <strong>de</strong> ces instants dans un état second d’extrême attention et d’hyper<br />

émotivité. Cette façon <strong>de</strong> traduire <strong>les</strong> émotions liées <strong>à</strong> <strong>la</strong> sensibilité dépressive, ainsi que <strong>les</strong> reflets<br />

successifs <strong>de</strong>s atmosphères <strong>à</strong> travers le Temps : quelle beauté et quelle profon<strong>de</strong>ur ! Un hommage <strong>à</strong><br />

rendre aussi aux acteurs qui y vivent plus qu’ils n’y jouent et <strong>à</strong> l’envoûtante <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong>, alias<br />

Nicole Kidman. Merci encore pour cette qualité, pour ces moments très forts.<br />

Mon histoire avec « Le Sirius » a débuté il y a <strong>de</strong>ux ans et <strong>de</strong>mi. Je traversais alors <strong>la</strong> pire pério<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

ma vie, étant <strong>à</strong> cette époque en arrêt <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> cinq mois pour une grave dépression.<br />

Après une telle étape dans l’Existence on n’est plus jamais <strong>la</strong> même personne mais, au plus profond <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>scente aux enfers, <strong>de</strong>s sursauts nous font alors, pendant ces « Heures » qui passent, décrypter <strong>de</strong><br />

manière étonnante <strong>les</strong> mystères <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie, pour toujours et désormais d’une façon diamétralement<br />

différente. Ainsi, un formidable apprentissage et un rebond positif vital succè<strong>de</strong>nt <strong>à</strong> cette spirale<br />

infernale : une leçon d’amour et d’énergie, une renaissance ; l’on découvre brutalement et <strong>de</strong> manière<br />

éc<strong>la</strong>irée une foule <strong>de</strong> vérités et <strong>de</strong> contre vérités. C’est d’abord troub<strong>la</strong>nt et déséquilibrant, puis, peu <strong>à</strong><br />

peu et comme une profon<strong>de</strong> sérénité, une formidable non peur <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort s’installe, un tout autre goût<br />

pour <strong>la</strong> Vie et pour l’observation, une vision tout <strong>à</strong> fait forte, contemp<strong>la</strong>tive et attentive, beaucoup plus<br />

sensible qu’avant, puissamment intuitive et c<strong>la</strong>irvoyante : mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> rêve, <strong>de</strong> poésie et <strong>de</strong><br />

terriblement rationnel aussi...<br />

Dans le fond, par le vécu <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die et celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissante mutation qu’elle induit, le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong><br />

<strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> semble me « concerner » et je me sens, moi aussi, plus vraiment l<strong>à</strong>, ou plus<br />

exactement l<strong>à</strong>, quand il le faut et <strong>à</strong> ma manière (adaptée aux événements) ; mon esprit semble<br />

indubitablement <strong>à</strong> contre-courant <strong>de</strong> <strong>la</strong> mentalité contemporaine souvent très matérialiste et peu<br />

sensible, donc infiniment réductrice. <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> a vécu une pathologie dépressive <strong>à</strong> travers une<br />

sensibilité hors norme ainsi qu’une remise en question permanente <strong>de</strong> sa propre existence qui <strong>la</strong><br />

menèrent <strong>à</strong> une mé<strong>la</strong>ncolie quasi chronique que je peux comprendre...<br />

J’achève ce courrier en vous disant encore un grand merci pour vos choix dans vos programmations et<br />

pour ces moments d’intensité. <strong>Philippe</strong> <strong>Legouis</strong> ».<br />

(Réflexion complémentaire : <strong>les</strong> dépressifs <strong>à</strong> forte propension intellectuelle ont, <strong>de</strong> par leur expérience<br />

propre, une notion plus poussée du sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie et <strong>de</strong> sa finalité, ils sont torturés par ces questions.<br />

Quel but, quelle consistance aux choses ? Voil<strong>à</strong> leur obsession. Leur c<strong>la</strong>irvoyance et leur sensibilité<br />

en font <strong>de</strong>s êtres qui savent ce que <strong>les</strong> autres ne savent pas. C’est pourquoi <strong>les</strong> uns font parfois peur<br />

aux autres, car ils touchent un terrain inconnu et fort peu stable pour ces <strong>de</strong>rniers, <strong>à</strong> l’encontre <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

sécurité affective et psychique que tout le mon<strong>de</strong> recherche. Ils découvrent et évoquent <strong>à</strong> autrui <strong>de</strong>s<br />

vérités troub<strong>la</strong>ntes et dérangeantes, déstabilisantes, qui remettent en cause le pourquoi <strong>de</strong> notre<br />

existence parfois organisée autour <strong>de</strong> valeurs futi<strong>les</strong>. Ils apparaissent alors en noir, dangereux pour<br />

l’être humain, mais aucune analyse ne porte <strong>la</strong> Vie aussi profondément que <strong>la</strong> leur. Un ex-dépressif<br />

n’est plus le même individu qu’avant, je l’ai dit. Il est fragile, certes, mais dès lors bien plus complet<br />

et plus mature ; il émane <strong>de</strong> sa personne une sagesse, une aisance, une force surprenante qui ont été<br />

acquises dans <strong>la</strong> douleur et qui étonnent <strong>les</strong> autres, mais aussi une consistance, une <strong>de</strong>nsité très forte<br />

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