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Sur les traces de Virginia Woolf, à la rencontre d ... - Philippe Legouis

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L’exagération, <strong>la</strong> démesure voire l’absurdité sont fréquemment utilisées en cet ouvrage au service <strong>de</strong><br />

l’humour et <strong>de</strong> l’irrationnel ; l’humour est parfois mordant, mais encore en tous temps le fruit d’une<br />

imagination débordante : « il avait eu très tôt le goût <strong>de</strong>s livres. Un page le trouvait parfois, encore<br />

enfant, occupé <strong>à</strong> lire jusqu’<strong>à</strong> minuit. On lui confisquait sa bougie et il élevait <strong>de</strong>s vers luisants pour <strong>la</strong><br />

remp<strong>la</strong>cer ». <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> s’est fait p<strong>la</strong>isir <strong>à</strong> écrire : « Or<strong>la</strong>ndo ». L’humour est partout, le lecteur<br />

est surpris et saisi <strong>à</strong> chaque page- un jeu d’une gran<strong>de</strong> habileté se développe et prend vie sous ses<br />

yeux, un jeu <strong>de</strong> fond comme <strong>de</strong> forme, témoin une fois encore d’un grand art sous <strong>la</strong> plume vagabon<strong>de</strong><br />

et puissante <strong>de</strong> <strong>la</strong> romancière.<br />

Comme en toutes <strong>les</strong> fins <strong>de</strong>s romans <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong>, cette « biographie » fantastique s’achève<br />

dans l’émotion et <strong>la</strong> somptuosité : l’intensité et le rythme s’accélèrent. Or<strong>la</strong>ndo semble alors, tout<br />

comme le lecteur, revenir d’un voyage <strong>de</strong> quatre cents ans pour se réveiller, éberlué et hors du Temps,<br />

dans un présent g<strong>la</strong>cial et minuscule, dans un tourbillon <strong>de</strong> souvenirs, <strong>de</strong> sensations et d’émotions,<br />

revivant ainsi le film passionnel <strong>de</strong> sa singulière Aventure <strong>à</strong> travers <strong>les</strong> sièc<strong>les</strong> : « (...) Elle s’imaginait<br />

que <strong>les</strong> pièces (...) s’agitaient et ouvraient leurs yeux après avoir somnolé en son absence. Elle<br />

imaginait aussi que ces pièces, qu’elle avait vues <strong>de</strong>s centaines et <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> fois, étaient toujours<br />

différentes d’une fois sur l’autre, comme si el<strong>les</strong> avaient amassé au cours d’une si longue existence<br />

une myria<strong>de</strong> d’états d’âme qui changeaient avec l’été et l’hiver, le soleil et <strong>les</strong> nuages, avec <strong>les</strong> aléas<br />

<strong>de</strong> sa propre vie et le tempérament <strong>de</strong>s visiteurs (...) El<strong>les</strong> se connaissaient <strong>de</strong>puis bientôt quatre<br />

sièc<strong>les</strong>. El<strong>les</strong> n’avaient rien <strong>à</strong> cacher (...) <strong>les</strong> pièces connaissaient tous <strong>les</strong> états d’âme et toutes <strong>les</strong><br />

métamorphoses d’Or<strong>la</strong>ndo (...) Or<strong>la</strong>ndo, qui ne croyait pas <strong>à</strong> l’immortalité, ne pouvait s’empêcher <strong>de</strong><br />

penser que son âme ne cesserait d’aller et venir <strong>à</strong> tout jamais avec <strong>les</strong> rouges <strong>de</strong>s boiseries et <strong>les</strong> verts<br />

du canapé. Car <strong>la</strong> pièce (...) avait l’éc<strong>la</strong>t d’un coquil<strong>la</strong>ge qui repose au fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s<br />

sièc<strong>les</strong> (...) Elle était fragile comme un coquil<strong>la</strong>ge, aussi vi<strong>de</strong> et iri<strong>de</strong>scente (...) elle savait où battait<br />

encore le cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison (...) son battement était sans doute faible et bien lointain mais c’était le<br />

cœur fragile et indomptable <strong>de</strong> l’immense bâtisse (...) La maison n’était plus tout <strong>à</strong> fait <strong>à</strong> elle, soupirat-elle.<br />

Elle appartenait désormais au temps, <strong>à</strong> l’histoire ; elle ne dépendait plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> main et <strong>de</strong><br />

l’autorité <strong>de</strong>s vivants »...<br />

« Une chambre <strong>à</strong> soi », publié en 1929, représentera un essai <strong>de</strong> toute première importance<br />

cristallisant l’aptitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> critique aci<strong>de</strong> et incisive en son éternel combat pour <strong>la</strong><br />

défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> cause féminine et notamment <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l’écrivain féminin. Cet ouvrage, qui sonne<br />

comme un pamphlet, se rapprochera par <strong>la</strong> suite, dans son fond comme dans sa forme, <strong>de</strong> l’essai :<br />

« Trois guinées », induisant ainsi une réelle continuité dans l’engagement <strong>de</strong> <strong>la</strong> romancière.<br />

Dès le début <strong>de</strong> l’ouvrage, un changement radical <strong>de</strong> ton surprend et amuse : il est humoristique et<br />

semble, dans un premier temps, plus léger et moins obscur que dans certains <strong>de</strong> ses romans. Un ton<br />

gai, positif, mais énergique et caustique, « mordant », emmène très vite le lecteur dans un univers<br />

vivant et imaginaire où le réel et <strong>la</strong> fiction se juxtaposent avec <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> finesse. L’attaque, <strong>la</strong><br />

manière avec <strong>la</strong>quelle <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> présente, développe et tisse ses idées, est amusante et ce quand<br />

bien même le sujet <strong>de</strong>meure infiniment sérieux. Pour autant, il s’agit bien l<strong>à</strong> d’un engagement <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

romancière sur l’un <strong>de</strong> ses thèmes <strong>de</strong> prédilection : <strong>la</strong> femme et le roman, <strong>la</strong> femme dans une société<br />

entièrement tenue et dirigée par et pour <strong>les</strong> hommes. « Il est indispensable qu’une femme possè<strong>de</strong><br />

quelque argent et une chambre <strong>à</strong> elle si elle veut écrire une œuvre <strong>de</strong> fiction ». Le message est le<br />

suivant : il est essentiel que <strong>les</strong> femmes se dégagent <strong>de</strong>s obligations matériel<strong>les</strong> auxquel<strong>les</strong> leur <strong>de</strong>stin<br />

est irrémédiablement lié (rôle préétabli par <strong>les</strong> hommes) et qui leur interdisent toute élévation <strong>de</strong><br />

l’esprit, <strong>les</strong> hommes se conférant pour eux-mêmes ce privilège. Pour <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong>, cette<br />

émancipation intellectuelle et sociale doit irrémédiablement passer par une élévation matérielle <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

condition féminine. La femme, selon elle, a toujours été, socio-culturellement, considérée par<br />

l’homme comme étant son inférieure. L’on ressent d’ailleurs c<strong>la</strong>irement en cet essai l’accent mis sur<br />

<strong>les</strong> interdits qui étaient, dans <strong>la</strong> société ang<strong>la</strong>ise du début du XX ème siècle et <strong>de</strong>puis nombre <strong>de</strong><br />

décennies auparavant, toujours opposés aux femmes et qui pesaient fortement sur l’esprit <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong><br />

<strong>Woolf</strong>. Le lecteur a l’impression, tout le poids du ressentiment est alors mis en exergue, qu’elle est <strong>la</strong><br />

seule femme <strong>à</strong> ressentir <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte cette oppression et <strong>à</strong> en souffrir ainsi, <strong>à</strong> en avoir une telle forte<br />

conscience ; même si <strong>les</strong> concepts sont parfois amenés avec humour, il y a au fond d’elle, en ces<br />

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