23.06.2013 Views

Sur les traces de Virginia Woolf, à la rencontre d ... - Philippe Legouis

Sur les traces de Virginia Woolf, à la rencontre d ... - Philippe Legouis

Sur les traces de Virginia Woolf, à la rencontre d ... - Philippe Legouis

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

émotion ce grand message <strong>de</strong> <strong>la</strong> romancière et souffrent <strong>à</strong> l’i<strong>de</strong>ntique : cette souffrance est<br />

intemporelle…<br />

Au fil <strong>de</strong>s jours et <strong>à</strong> mesure que j’approfondis par diverses lectures passionnées ma connaissance <strong>de</strong><br />

<strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong>, je pris néanmoins quelque distance avec le film et subodorai <strong>de</strong> plus en plus <strong>à</strong> travers<br />

cette mise en scène un aspect décevant irréaliste et « romancé » : un phénomène semb<strong>la</strong>nt toutefois<br />

pleinement inscrit dans <strong>la</strong> façon contemporaine <strong>de</strong> toucher <strong>la</strong> sensibilité <strong>de</strong>s spectateurs- le terme<br />

« spectacle » prenant alors toute son essence. (Mon voyage en Angleterre <strong>de</strong> l’été 2003 lors duquel<br />

j’al<strong>la</strong>is découvrir quelques incohérences frappantes, mais surtout <strong>la</strong> fabuleuse <strong>rencontre</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> nièce<br />

<strong>de</strong> <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> au cours du mois <strong>de</strong> septembre <strong>de</strong> cette année-l<strong>à</strong> al<strong>la</strong>ient bientôt et définitivement<br />

rétablir <strong>la</strong> vérité ou, du moins, une vérité digne cette fois du plus grand respect : Angelica Bell,<br />

épouse Garnett, connut bien évi<strong>de</strong>mment <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> <strong>de</strong> façon intime).<br />

Je convins alors, au sujet <strong>de</strong> ce film, qu’il n’offre, en ce qui concerne <strong>les</strong> passages <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong><br />

<strong>Woolf</strong>, qu’un aspect forcément restrictif <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité complexe <strong>de</strong> <strong>la</strong> romancière et qu’il est axé<br />

exclusivement sur le côté dépression et folie. Certes ce côté fut, mais il y en eût bien d’autres et <strong>de</strong>s<br />

plus colorés. Les étapes du film qui traitent directement <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> retracent, au<br />

mieux, un aspect ponctuel <strong>de</strong> l’état d’esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> romancière. (Afin <strong>de</strong> corroborer mes propos, je puis<br />

citer <strong>de</strong>ux exemp<strong>les</strong> d’incohérences détectées lors <strong>de</strong> ce futur voyage <strong>à</strong> Rodmell <strong>de</strong> juillet 2003 : au<br />

début du film, l’on voit <strong>Virginia</strong> errer dans <strong>les</strong> herbes fol<strong>les</strong> au bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière Ouse, emplissant ses<br />

poches <strong>de</strong> gros cailloux avant <strong>de</strong> commettre son suici<strong>de</strong>. On <strong>la</strong> voit ensuite dans sa chambre,<br />

conva<strong>les</strong>cente, quand le mé<strong>de</strong>cin est passé. Sans connaître <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> l’on peut, <strong>à</strong> ce<br />

moment du film, en déduire que ce fut une tentative <strong>de</strong> suici<strong>de</strong> échouée- il n’en est rien : <strong>la</strong> scène du<br />

suici<strong>de</strong>, par rapport <strong>à</strong> cette scène qui lui succè<strong>de</strong>, est une avancée dans le temps. Soit. Mais <strong>Virginia</strong> a<br />

le même aspect physique dans sa chambre et <strong>à</strong> chaque apparition dans le film, que lorsqu’elle met fin<br />

<strong>à</strong> ses jours, ce<strong>la</strong> impliquerait que <strong>les</strong> actions se situent sensiblement <strong>à</strong> <strong>la</strong> même époque. Or, dans sa<br />

vie réelle, <strong>Virginia</strong> abandonna l’Existence <strong>à</strong> l’âge <strong>de</strong> 59 ans. Inévitablement, <strong>les</strong> spectateurs auront<br />

associé le suici<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> <strong>à</strong> cette époque <strong>de</strong> conception du roman « Mrs Dalloway ». Or,<br />

dix-huit années séparent ces <strong>de</strong>ux pério<strong>de</strong>s. Ensuite et dans <strong>la</strong> réalité, <strong>les</strong> berges <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière Ouse<br />

sont jonchées <strong>de</strong> cailloux : rien n’y pousse, aucune végétation abondante comme dans le film- cadre<br />

incomparable / Avec un ton fataliste empreint d’un sincère détachement, Angelica Bell al<strong>la</strong>it me<br />

déc<strong>la</strong>rer en septembre 2003 : « je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> me croire, cette horrible femme n’était pas ma<br />

tante. L<strong>à</strong>, c’est le côté négatif <strong>de</strong>s gens, le côté spectacu<strong>la</strong>ire qui ressort et un goût malsain pour <strong>la</strong><br />

morbidité ; c’est <strong>la</strong>id et inexact. Ma tante était gaie, elle ne montrait jamais qu’elle était ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, ou<br />

alors elle surmontait ses crises avec humour.... <strong>de</strong> toutes façons, c’est sans importance…»).<br />

« The Hours » avait donc suscité l’émotion, mais sur <strong>de</strong>s valeurs fausses attachées au personnage <strong>de</strong><br />

<strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong>, ou incomplètes, déformées et exagérées. Le film touche <strong>les</strong> gens exclusivement sur le<br />

côté dépressif, c’est effectivement une démarche négative- mais dans quel but : faire du spectacle <strong>à</strong><br />

tout prix ? La vie <strong>de</strong>s gens n’est pas un parcours homogène constitué d’un tempérament unique, elle<br />

est <strong>de</strong> mille facettes et autant <strong>de</strong> situations et d’humeurs différentes ou complexes qui fluctuent selon<br />

le Temps. C’est exactement ce même « système » qu’évoque avec magie <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> tout au long<br />

<strong>de</strong> son Œuvre et que, tout autant, je ressens merveilleusement, intensément et avec certitu<strong>de</strong> face au<br />

grand Mystère <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie. Certes, l’état dépressif génère <strong>de</strong>s rechutes, mais <strong>de</strong> formidab<strong>les</strong> embellies<br />

aussi. Les gens évoluent dans une vie, dans leur vie. Par essence-même, <strong>les</strong> personnages, <strong>les</strong> gens, ne<br />

peuvent être finis, clos et sertis dans <strong>de</strong>s pages et par <strong>de</strong>s mots : ils vivent et se transforment dans leur<br />

corps et leur esprit et <strong>la</strong>issent d’innombrab<strong>les</strong> <strong>traces</strong> tout au long <strong>de</strong> leur existence, comme <strong>de</strong>s pas<br />

dans <strong>la</strong> neige. C’est pourquoi <strong>les</strong> personnages <strong>de</strong>s romans <strong>de</strong> <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong> ne sont jamais décrits <strong>de</strong><br />

manière figée, ils voguent dans le courant <strong>de</strong> leur conscience et dans le flux <strong>de</strong> maints autres esprits.<br />

Le côté dépressif a été, chez <strong>Virginia</strong> <strong>Woolf</strong>, mais aussi bien d’autres aspects <strong>de</strong> sa personnalité très<br />

différents <strong>de</strong> ceux qui lui sont systématiquement dévolus. Pour autant, il est vrai que <strong>la</strong> romancière<br />

traversa <strong>de</strong>s moments particulièrement diffici<strong>les</strong> pendant l’é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong> : « Mrs Dalloway », entre<br />

1922 et 1924, pério<strong>de</strong> pendant <strong>la</strong>quelle elle constata bien souvent que <strong>les</strong> mots peinaient comme<br />

jamais auparavant <strong>à</strong> sortir <strong>de</strong> son esprit. Mais, bien qu’elle ait vécu <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte cette époque et qu’il<br />

faut peut-être focaliser le film sur ces délicats mais intenses passages <strong>de</strong> sa vie, rien ne permet<br />

6

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!