Le Dynamot - Association de biodynamie du Québec

Par Gilbert Guérin
Manger
Voici quelques réflexions que j’aimerais partager avec vous.
Je ne sais pas si c’est une idée que je me fais, mais je pense que ça n’a pas de bon sens
d’appeler tout ce que l’on mange, de la «bouffe». Peut-être qu’avant c’était un synonyme
de nourriture, d’aliment? Un mot plus rare, qui peu à peu est entré dans le langage
familier. Mais c’est devenu ordinaire, très ordinaire. Imaginez. J’achète de la bouffe, je
prépare de la bouffe, je bouffe, je jette de la bouffe. Ordinaire, très ordinaire.
On se questionne de nos jours sur la croissance exponentielle de l’obésité dans notre
société. N’y aurait-il pas un lien à faire entre les mots «bouffe» et «bouffi»?
Manger est une célébration. Une célébration quotidienne, pour la plupart d’entre nous.
Pour la majorité, même, trois repas par jour. Faits de légumes, de fruits, de viande, de
pain, de lait, de fromages, par exemple, qui ont été cultivés, élevés, façonnés, cuisinés
et que nous mangeons pour nourrir notre corps et notre esprit.
Mon père disait: «On ne chante pas à table!». Sûrement par respect pour les aliments et pour ceux qui les avaient
cuisinés et servis. J’ai aussi compris pourquoi quand j’ai eu moi-même quatre enfants. Le repas est un moment
privilégié. Manger est un acte fondamental de la vie, où nous ingérons des aliments pour le développement de nos
cellules. Et c’est un acte dangereux. Pensons à un enfant qui s’étouffe en mangeant.
J’ai même un collègue de travail qui est mort après s’être étouffé en mangeant dans un
restaurant à Québec.
Manger n’est pas anodin. D’une part c’est une gestion de risques, pensons aux intoxications
alimentaires, d’autre part, c’est un plaisir de la vie et un art. Même si certains disent
«Je me suis payé une bonne bouffe hier», je garde un doute sur le niveau d’élévation
de leur célébration.
Faire un jardin ou élever des animaux pour se nourrir ne sont pas des gestes anodins.
Ce sont des projets de création dans lesquels nous faisons équipe avec la terre, le soleil,
l’eau, les plantes, les insectes, les animaux. Manger et grandir en sont les aboutissements.
Boulanger, affiner un fromage, par exemple, sont une production alimentaire, mais ils sont aussi un art de
création destiné à nous permettre d’apprécier ce que nous mangeons, par le goût, la beauté, la texture, l’odeur.
Pourrions-nous vivement retrouver le sens de ces célébrations que sont produire un aliment et manger.
Bouffer est anodin. Il faut que ça aille vite pour produire et ingérer la nourriture. Le terme
bouffe est probablement devenu populaire par opposition à la «malbouffe». Mais en même
temps, la malbouffe nous aurait-elle tirés vers le bas. Il y aurait la malbouffe et la bouffe. Il
y a même une grande chaîne d’alimentation au Québec qui a pour slogan «Vive la bouffe».
Je fais un appel à tous pour nous aider à trouver un terme qui ramènerait cette notion de
célébration de l’acte de manger et réhabiliterait ce que nous mangeons. Un terme évocateur
et porteur de sens.
Mais est-ce le mot qui fait problème, ou l’action de manger, ou la nourriture elle-même?
Dans notre société de consommation, la vitesse prime et l’argent mène. La qualité en alimentation
est la plupart du temps remplacée par des stratégies de marketing qui visent le profit des actionnaires
de l’entreprise au détriment de la satisfaction des vrais besoins de la population.
Quand je vois en grosses lettres sur la boîte d’un camion d’une boulangerie industrielle l’inscription «Le goût du
vrai», je me questionne et sur le goût et sur le vrai. Je pense que si c’était du vrai pain, boulangé avec de vrais
ingrédients et dans les règles de l’art par un vrai boulanger, l’entreprise n’aurait pas besoin d’un tel slogan pour
essayer de me faire croire que ce qu’elle essaie de me faire manger est autre chose qu’un assemblage d’ingrédients
dénaturés et de produits chimiques dont les noms se terminent en «ose», en «ite» et en «ate». Les noms de
plusieurs de nos maladies modernes ne se terminent-ils pas eux aussi en «ose» et en «ite»?
Verrons-nous un jour sur les sacs des pains industriels la mention: «Peut contenir des traces d’ingrédients sains
et nutritifs»?
L’alimentation de masse ne serait-elle pas en train, outre ses effets néfastes sur l’environnement, de détruire petit
à petit la racine même de ce qui a pris des millénaires à développer et à enrichir, l’art de cultiver et de préparer des
aliments et l’art de bien manger?
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