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convaincre <strong>le</strong>s paysans d'abandonner <strong>le</strong>urs maisons, de fuir en emportant <strong>le</strong> strict<br />

minimum. Certains refusaient. Quand on venait <strong>le</strong>s chercher, ils montraient <strong>le</strong> ciel<br />

b<strong>le</strong>u, <strong>le</strong>s arbres en f<strong>le</strong>urs, l'herbe foisonnante. Où est <strong>le</strong> danger? demandaient-ils,<br />

incrédu<strong>le</strong>s. D'autres étaient partis, puis, constatant qu'il ne se passait rien de spécial,<br />

ils réintégraient <strong>le</strong>urs villages en catimini... Partout couraient <strong>le</strong>s rumeurs <strong>le</strong>s plus<br />

contradictoires. Tantôt on disait que <strong>le</strong>s conséquences allaient être terrib<strong>le</strong>s, tantôt<br />

que tout cela n'était qu'une plaisanterie. Certes, <strong>le</strong>s gars ayant participé aux<br />

premières équipes de secours avaient trinqué, mais à présent que la situation était<br />

sous contrô<strong>le</strong>, il n'y avait plus rien à craindre. Avec quelques pastil<strong>le</strong>s d'iode, tout<br />

serait réglé. A la télévision, <strong>le</strong>s spécialistes de la propagande s'en donnaient à cour<br />

joie, déversant <strong>le</strong>urs slogans rassurants entre deux refrains patriotiques. Dans <strong>le</strong>s<br />

mois qui suivirent, près de six cent cinquante mil<strong>le</strong> hommes affluèrent vers<br />

Tchernobyl. Pour abattre <strong>le</strong>s arbres, <strong>le</strong>s brû<strong>le</strong>r sur de gigantesques bûchers. Des<br />

appelés du contingent qui croyaient participer à de vulgaires manouvres. Des<br />

régiments entiers se déployèrent autour de la zone, mais <strong>le</strong>s barrages n'étaient pas<br />

rigoureux et il suffisait de graisser la patte d'un gradé sans scrupu<strong>le</strong> pour entrer ou<br />

sortir du périmètre interdit. Dans <strong>le</strong>s bois circulaient de petites bandes d'hommes<br />

armés. Ils étaient chargés d'abattre <strong>le</strong> bétail, et aussi <strong>le</strong>s chiens, <strong>le</strong>s chats, de faire en<br />

sorte qu'aucun animal ne s'évade de la zone la plus contaminée. On <strong>le</strong>ur distribuait de<br />

la vodka à foison. Dans cette curieuse partie de campagne printanière, ils cueillaient<br />

des champignons, des fraises, des framboises, s'en régalaient, se ruaient sur <strong>le</strong>s<br />

poulail<strong>le</strong>rs, gobaient <strong>le</strong>s oufs avant de tirer en rafa<strong>le</strong>s sur la volail<strong>le</strong> affolée. Les<br />

chemins étaient bordés de place en place de cadavres d'animaux, vaches ou cochons<br />

mitraillés à la kalachnikov et dont la viande se décomposait en attirant de copieux<br />

nuages de mouches.<br />

En se rendant chez Guillaume et Nadine Monteil, à Chatou, O<strong>le</strong>g se remémora <strong>le</strong>s<br />

moments <strong>le</strong>s plus douloureux de ces jours d'après. La maladie de sa mère, qui se<br />

déclara très vite, à l'automne 86. Et <strong>le</strong>s premiers symptômes qui frappèrent ses<br />

frères, sa sour. Ces souvenirs cauchemardesques venaient <strong>le</strong> visiter toutes <strong>le</strong>s nuits<br />

depuis plus de quinze ans.<br />

Nadine Monteil était en voyage aux États-Unis, pour un congrès médical, aussi<br />

Guillaume <strong>le</strong> reçut-il seul, l'accueillant sur <strong>le</strong> perron de sa villa avant de <strong>le</strong> prendre<br />

dans ses bras, de l'étreindre longuement, et de <strong>le</strong> questionner sur son état de santé.<br />

O<strong>le</strong>g lui mentit à propos de la fréquence des transfusions auxquel<strong>le</strong>s il devait se<br />

soumettre, prétendant qu'il en était toujours à quatre mois d'interval<strong>le</strong> entre chacune<br />

d'el<strong>le</strong>s.<br />

- Je n'y ai jamais rien compris à toutes vos histoires de lymphocytes, de <strong>le</strong>ucocytes et<br />

de plaquettes..., ajouta-t-il. Tout ce que je sais, c'est que je vais bientôt y passer !<br />

- Tu n'as pas <strong>le</strong> droit de dire ça! protesta Guillaume. Il faut patienter, <strong>le</strong>s perfusions<br />

peuvent te permettre de tenir longtemps, très longtemps, jusqu'à ce qu'on te trouve<br />

un donneur de moel<strong>le</strong> ! Ça va marcher, je suis certain que ça va marcher! Si ça ne<br />

tenait qu'à moi, tu <strong>le</strong> sais bien, je serais déjà sur la tab<strong>le</strong> d'opération pour me faire<br />

charcuter !<br />

O<strong>le</strong>g haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s. Ses frères étaient morts en 94, sa sour en 95, et <strong>le</strong>s chances<br />

qui lui restaient de tomber sur un donneur compatib<strong>le</strong> étaient infinitésima<strong>le</strong>s. Les<br />

médecins qui <strong>le</strong> suivaient l'avaient inscrit au fichier international HLA qui recensait <strong>le</strong>s<br />

possibilités, sans résultat jusqu'alors.<br />

- Tout ira bien, reprit Guillaume, je <strong>le</strong> sens. Tant que la <strong>le</strong>ucémie n'est pas<br />

franchement déclarée, tes chances restent entières, entières ! Et quand bien même<br />

cela arriverait, sache que la recherche va vite. C'est une question d'années. Regarde,<br />

entre <strong>le</strong> moment où tu as été soumis aux radiations et aujourd'hui, il s'est déjà écoulé<br />

plus de quinze ans. Des habitants d'Hiroshima ou de Nagasaki ne sont tombés<br />

malades qu'au bout de trente ans ! Nous ignorons encore tant de choses, dans ce<br />

domaine... et puis, pense à tous ceux qui ne sont plus là !

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