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il est réel<strong>le</strong>ment. Et je crois comprendre que ma patience va enfin être récompensée,<br />
n'est-ce pas ?<br />
- Vous saviez ce qui allait se passer, s'entêta O<strong>le</strong>g, vous m'avez donc menti.<br />
- Par omission, peut-être, mais rien de plus ! Que s'est-il donc passé ?<br />
- Dites-moi ce que vous savez, tout ce que vous savez ! Ne cherchez plus à<br />
tergiverser! reprit O<strong>le</strong>g, d'un ton où suintait la menace.<br />
-Je sais que je suis à votre merci. Ma gouvernante serait bien incapab<strong>le</strong> de s'opposer à<br />
vous. Je suis sans défense. Je ne vous ai tendu aucun piège. J'ai simp<strong>le</strong>ment envie de<br />
savoir. Je vous écoute.<br />
La voix de l'infirme était toujours aussi terrib<strong>le</strong>, mais O<strong>le</strong>g y perçut une réel<strong>le</strong> inf<strong>le</strong>xion<br />
de sincérité. Il prit une profonde inspiration, ouvrit la sacoche qu'il avait apportée et<br />
en tira un jeu de photographies classées dans l'ordre chronologique, jour après jour,<br />
qu'il déposa sur <strong>le</strong>s genoux de son interlocutrice. El<strong>le</strong> <strong>le</strong>s consulta sans précipitation<br />
aucune, sou<strong>le</strong>vant sa voi<strong>le</strong>tte pour <strong>le</strong>s approcher, l'une après l'autre, de son seul oil<br />
valide. O<strong>le</strong>g lui narra l'épisode de la visite de Ruderi jusqu'à la villa de Rueil-<br />
Malmaison et lui fit un court récit de ses pérégrinations dans <strong>le</strong>s rues de Pigal<strong>le</strong> ou des<br />
abords de la place du Tertre. Parmi <strong>le</strong> lot que lui avait confié O<strong>le</strong>g, Margaret isola un<br />
portrait d'Ava.<br />
- El<strong>le</strong>.... el<strong>le</strong> est bien venue <strong>le</strong> chercher à sa sortie de prison ? Comment s'appel<strong>le</strong>-tel<strong>le</strong><br />
?<br />
-Ava... Laissons-la de côté, pour <strong>le</strong> moment, vou<strong>le</strong>zvous?<br />
Les mains de Margaret se figèrent, pour signifier son refus.<br />
-Ava, dites-vous! Oh non, el<strong>le</strong> m'intéresse, el<strong>le</strong> m'intéresse beaucoup. Ava... Ava...,<br />
murmura-t-el<strong>le</strong>. Oui, c'est bien ainsi qu'ils l'appelaient : Ava ! Quand ils m'ont amenée<br />
dans <strong>le</strong> salon, près de la cheminée, mon père était déjà mort. Je ne l'ai pas compris,<br />
évidemment. Une enfant de cinq ans ne peut pas comprendre ça, il faut du temps,<br />
beaucoup de temps pour approcher la réalité de la mort. Je l'ai simp<strong>le</strong>ment vu allongé<br />
sur un tapis, la tête en sang. Et ma mère hurlait. Je ne comprenais rien à ce que <strong>le</strong>s<br />
autres se disaient. Ils parlaient une langue étrangère, ou plutôt étrange, que ma mère<br />
n'était pas parvenue à identifier, el<strong>le</strong> a bien insisté sur ce point, lors du procès ! Tout<br />
ce que j'ai retenu, c'étaient ces deux syllabes, A-VA. Le nom de la fil<strong>le</strong>. Et la voix, la<br />
voix de Ruderi? Pourriez-vous me la faire entendre ?<br />
Margaret s'agitait dans son fauteuil. El<strong>le</strong> avait parlé d'une traite et peinait à reprendre<br />
sa respiration. O<strong>le</strong>g entendit <strong>le</strong> corset craquer, grincer. Il sortit un magnétophone de<br />
sa sacoche, y enc<strong>le</strong>ncha une des nombreuses cassettes que ses pisteurs avaient<br />
enregistrées et mit l'appareil en marche. Margaret entendit la voix de Ruderi, et cel<strong>le</strong><br />
d'Ava, s'exprimant dans <strong>le</strong>ur dia<strong>le</strong>cte. Quelques minutes passèrent.<br />
- Rembobinez et recommencez ! ordonna Margaret.<br />
O<strong>le</strong>g obéit. Margaret ne bougeait plus, ne respirait plus, suspendue à ces voix qui<br />
sortaient du magnéto, si claires, si limpides, pour entrer en résonance avec cel<strong>le</strong>s qui<br />
s'étaient insinuées dans sa mémoire, quarante ans plus tôt.<br />
- C'est lui, c'est bien lui, murmura-t-el<strong>le</strong> enfin. Et la fil<strong>le</strong>, c'est el<strong>le</strong> aussi ! Ava ! La<br />
petite sauvageonne !<br />
- Ce pourrait être une simp<strong>le</strong> ressemblance ? Ou sa fil<strong>le</strong>, ou quelqu'un de sa famil<strong>le</strong> !<br />
Quarante années se sont écoulées et el<strong>le</strong> n'aurait pas vieilli ? protesta O<strong>le</strong>g.<br />
- Ruderi a bien rajeuni, heure après heure, jour après jour, et cela, sous vos yeux !<br />
rétorqua Margaret.<br />
El<strong>le</strong> eut un mouvement rapide de la main, pour souligner son agacement. Le lot de<br />
photos chuta sur <strong>le</strong>s dal<strong>le</strong>s.<br />
- Je vous dois en effet quelques explications, reprit-el<strong>le</strong>. Si je ne vous <strong>le</strong>s donne<br />
qu'aujourd'hui, c'est tout simp<strong>le</strong>ment parce que si je <strong>le</strong>s avais ne fût-ce qu'évoquées<br />
lors de notre premier rendez-vous, vous m'auriez crue fol<strong>le</strong>. Et vous vous seriez enfui,<br />
me privant de vos précieuses compétences !