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Lire le livre - Bibliothèque

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et c'était bien <strong>le</strong> cas. Ce vent-là n'avait rien d'ordinaire. Il a emporté la végétation sur<br />

son passage, mais surtout, il charriait une odeur pesti<strong>le</strong>ntiel<strong>le</strong>. Abominab<strong>le</strong>. Nous nous<br />

bouchions <strong>le</strong> nez, nous suffoquions, sans parvenir à nous protéger de cette puanteur.<br />

- Qu'est-ce que c'était ? balbutia Anabel. Monsieur Jacob la contempla avec un regard<br />

d'une infinie tristesse.<br />

- La Mort, Anabel, c'était la Mort. Son souff<strong>le</strong> était passé sur nous. Quand <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il<br />

s'est <strong>le</strong>vé, mes frères et moi avons découvert <strong>le</strong>s cadavres. Ceux des bêtes et des<br />

humains. Il n'y avait aucun survivant, sauf nous. La Mort avait exterminé tous nos<br />

proches, mais en nous épargnant. Pourquoi nous ? Cette question n'a cessé de me<br />

hanter... Tous <strong>le</strong>s quatre, nous sommes restés longtemps prostrés, blottis <strong>le</strong>s uns<br />

contre <strong>le</strong>s autres, tremblants, terrorisés. Des nuées de mouches et quantité<br />

d'animaux charognards se sont abattus sur ce charnier, si bien qu'il nous a fallu<br />

déguerpir. Nous avons marché droit devant nous. Des jours durant. Nous avons fini<br />

par rencontrer un autre clan, une autre tribu, qui nous a adoptés. Les années<br />

passèrent, en apparence immuab<strong>le</strong>s. Une vie de nomades. Autour de nous, <strong>le</strong>s gens<br />

vieillissaient, puis mouraient. Pas nous. Quelques générations avaient vu <strong>le</strong> jour,<br />

étaient arrivées à l'âge adulte, puis s'étaient éteintes sous nos yeux. Cinq ou six<br />

sièc<strong>le</strong>s. Marcus en a grandement profité. Cette tribu primitive, et très crédu<strong>le</strong>, il n'a eu<br />

aucune difficulté à la soumettre. En nous présentant comme des divinités, des<br />

créatures aux pouvoirs maléfiques. C'était faci<strong>le</strong>, très faci<strong>le</strong>. Et tentant, trop tentant.<br />

Un coup de tonnerre, un éclair dans <strong>le</strong> ciel passait pour un signe de colère de notre<br />

part. Un arc-en-ciel, au contraire, soulignait notre satisfaction... ces pauvres gens<br />

nous vénéraient, nous couvraient de cadeaux. Ce qui nous était arrivé avait rendu<br />

Marcus complètement fou. Il faisait preuve d'une cruauté infinie, exigeait des<br />

sacrifices... Peu à peu, j'ai compris que je devais me séparer de lui, veil<strong>le</strong>r sur mes<br />

frères, <strong>le</strong>s préserver. Un jour ou l'autre, il nous aurait tués, pour rester <strong>le</strong> seul «dieu»<br />

et profiter des avantages liés à ce statut ! J'ai pris la fuite avec <strong>le</strong>s petits. Nous avons<br />

marché, jusqu'à perdre ha<strong>le</strong>ine, une errance sans fin. Partout où nous passions,<br />

notre... « particularité » finissait par aiguiser <strong>le</strong>s curiosités. Alors, nous reprenions la<br />

route. Pour rencontrer d'autres clans, d'autres tribus. Comment vous faire prendre<br />

conscience du temps colossal qui s'écoulait ? Je ne pourrai jamais trouver <strong>le</strong>s mots !<br />

-Pardonnez-moi, vous avez vieilli... vous me parliez de Tom comme d'un très jeune<br />

enfant ! Et vous-même comme d'un...<br />

- Comme d'un ado<strong>le</strong>scent, oui ! Nous avons vieilli, et nous continuons de vieillir. Mais<br />

à un rythme très <strong>le</strong>nt. Bien ! Voilà donc <strong>le</strong> point de départ. J'aurais aimé disposer de<br />

jours entiers pour vous raconter mon histoire, cela n'aurait pas été de trop, mais <strong>le</strong>s<br />

circonstances en ont décidé autrement. C'est cruel, mais c'est ainsi. Le temps presse.<br />

Nous en avons une perception bien différente, vous et moi. Bref, vous imaginez bien<br />

que ces tribus nomades auprès desquel<strong>le</strong>s nous trouvions refuge ici ou là ont fini par<br />

se sédentariser, par s'instal<strong>le</strong>r dans des villages, des villages qui se sont peu à peu<br />

étoffés, au point de devenir des vil<strong>le</strong>s. Allons au plus court. Babylone, Anabel, mes<br />

frères et moi, nous avons assisté à la naissance de Babylone !<br />

Anabel secoua la tête, abasourdie, anéantie. Monsieur Jacob lui caressa la main avec<br />

indulgence. La Mercedes était entrée dans Paris et filait en direction de la place de la<br />

République. Le moment de la séparation approchait, minute après minute.<br />

- Continuez ! lança-t-el<strong>le</strong>, d'une voix ha<strong>le</strong>tante.<br />

- J'avais acquis une grande familiarité avec la mort, cela va de soi. J'avais vu tant de<br />

gens mourir, <strong>le</strong>s miens tout d'abord, et ensuite des générations entières, en un<br />

cortège qui pourrait faire plusieurs fois <strong>le</strong> tour de la planète... c'est inimaginab<strong>le</strong> !<br />

Anabel vit <strong>le</strong>s yeux de Monsieur Jacob s'embuer de<br />

larmes.<br />

- Je suis donc devenu un « spécialiste ». C'est <strong>le</strong> travail, la fonction grâce à laquel<strong>le</strong><br />

j'ai trouvé ma place dans toutes <strong>le</strong>s sociétés où j'ai vécu. De Babylone à Thèbes, de<br />

Ninive à Sparte, d'Athènes à Minos, de Rome à Paris et tant d'autres vil<strong>le</strong>s, d'autres

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