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la porte, tâtonna du bout des doigts <strong>le</strong> long des murs pour rencontrer un<br />
commutateur, y parvint, l'actionna. Il commandait une série de rampes de néons qui<br />
crépitèrent, lançant tout d'abord quelques flashes timides avant de consentir enfin à<br />
remplir p<strong>le</strong>inement <strong>le</strong>ur mission.<br />
Anabel découvrit alors un capharnaüm insensé. La pièce s'étirait tout en profondeur,<br />
sur une trentaine de mètres au moins. Une cave, creusée dans un sol calcaire. Les<br />
rampes de néons pendaient <strong>le</strong> long du sommet de la voûte, plus ou moins alignées, et<br />
grésillaient alternativement, de domino en domino, reliées entre el<strong>le</strong>s par des câb<strong>le</strong>s<br />
é<strong>le</strong>ctriques entrelardés de toi<strong>le</strong>s d'araignées, couverts de moisissures, de chiures de<br />
mouches, de filaments de poussière.<br />
Une cave encombrée de rayonnages branlants, supportant des pi<strong>le</strong>s entières de <strong>livre</strong>s<br />
soigneusement classés, tandis que d'autres s'effondraient, se répandaient sur <strong>le</strong> sol,<br />
en une coulée dont <strong>le</strong> flot s'avérait impossib<strong>le</strong> à endiguer. Anabel <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux<br />
jusqu'au plafond, qui lui parut haut d'une bonne dizaine de mètres. Il y avait là de<br />
quoi entasser plusieurs milliers de volumes. Des échel<strong>le</strong>s, des escabeaux permettaient<br />
d'accéder aux niveaux <strong>le</strong>s plus haut perchés.<br />
De place en place ronronnaient des appareils é<strong>le</strong>ctriques, des climatiseurs qui<br />
propulsaient un souff<strong>le</strong> d'air tiède destiné à assécher l'atmosphère, à combattre<br />
l'humidité. Anabel enjamba des monticu<strong>le</strong>s d'ouvrages entassés à même <strong>le</strong> sol, de<br />
classeurs emplis d'une paperasse rongée par <strong>le</strong>s mites, ternie, froissée, prenant soin<br />
de ne pas fou<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>ts épars, et poursuivit sa progression vers un ordinateur de<br />
modè<strong>le</strong> récent, équipé d'une puissante unité centra<strong>le</strong>, installé sur un bureau, tout au<br />
fond de la cave. Une multitude de Post-it étaient scotchés sur <strong>le</strong> pourtour de l'écran,<br />
dans <strong>le</strong>s interstices des touches du clavier. Tous couverts de gribouillis abscons.<br />
Anabel fit demi-tour et s'intéressa aux <strong>livre</strong>s. Certains étaient fort anciens. Pour ne<br />
pas dire antiques. Des grimoires. Leur reliure s'étiolait, tombait en miettes. El<strong>le</strong><br />
renonça à gravir <strong>le</strong>s barreaux des différentes échel<strong>le</strong>s, des escabeaux, pour <strong>le</strong>s<br />
examiner de plus près. D'autres, en moins piteux état, semblaient rescapés d'époques<br />
plus récentes. Anabel était tota<strong>le</strong>ment incapab<strong>le</strong> de <strong>le</strong>s dater, même<br />
approximativement. Une seu<strong>le</strong> certitude, il s'agissait là d'un véritab<strong>le</strong> trésor. Monsieur<br />
Jacob avait dû consacrer sa vie entière à rassemb<strong>le</strong>r une tel<strong>le</strong> profusion de <strong>livre</strong>s. Et à<br />
<strong>le</strong>s lire, à <strong>le</strong>s annoter. Entre <strong>le</strong>s pages de chacun d'entre eux, el<strong>le</strong> remarqua la<br />
présence de signets, de feuil<strong>le</strong>ts couverts de commentaires. Des carnets suspendus<br />
aux rayonnages à l'aide de vulgaires ficel<strong>le</strong>s semblaient indiquer des renvois, des<br />
correspondances, bref, servir de mode d'emploi, de guide dans ce labyrinthe.<br />
Son regard ébahi balaya la bibliothèque, de haut en bas. Plus l'on descendait, plus <strong>le</strong>s<br />
ouvrages étaient récents. A un mètre soixante du sol environ, un sol recouvert de lino<br />
gris, on entrait de plain-pied dans <strong>le</strong> XIXe sièc<strong>le</strong>. Anabel parcourut <strong>le</strong>s titres sur <strong>le</strong>s<br />
reliures de cuir, puis de carton, puis de papier glacé, au fur et à mesure qu'el<strong>le</strong><br />
avançait dans la chronologie du classement, c'est-à-dire de plus en plus bas, jusqu'au<br />
ras du plancher. Jusqu'au présent, aux années 1990-2000. Toutes <strong>le</strong>s langues, toutes<br />
<strong>le</strong>s formes d'écriture étaient représentées. Caractères arabes, cyrilliques, hébraïques,<br />
chinois, grecs... et enfin latins, <strong>le</strong>s seuls qu'el<strong>le</strong> put déchiffrer.<br />
Mors, Muerte, Morte, Tod, Death, Smierc. Anabel <strong>le</strong> constata, toute cette<br />
documentation, colossa<strong>le</strong>, convergeait vers un seul point. La mort. Sous toutes ses<br />
formes. Toutes ses déclinaisons possib<strong>le</strong>s. Ses représentations pictura<strong>le</strong>s, religieuses<br />
ou profanes. Du bout des doigts, el<strong>le</strong> balaya des albums photographiques illustrant<br />
l'histoire de l'art funéraire. Et aussi des traités philosophiques. Et encore des<br />
dictionnaires, des encyclopédies de médecine, voire de simp<strong>le</strong>s fascicu<strong>le</strong>s, des copies<br />
de thèses traitant de tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> maladie en particulier. La genèse d'une épidémie, la<br />
biographie d'un médecin ayant décroché un prix Nobel ou de tel autre, resté inconnu<br />
mais auquel un chercheur tenait malgré tout à rendre hommage... Anabel fouilla, ici,<br />
là, en prenant soin de ne rien déranger. Des photocopies tirées d'un magazine<br />
britannique, sur <strong>le</strong>s pathologies présentées par <strong>le</strong>s survivants de la catastrophe de