ulletin N° 28 - Association des Amis des Câbles Sous-Marins
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D<br />
ans le courant du mois de juillet 1965, lors de<br />
notre première campagne à Terre Neuve, étant<br />
de garde, amarrés au Water Front, à St John’s, le<br />
Chef de Mission, M. Baron, vient m’annoncer qu’il<br />
avait reçu de la Direction une lettre m’informant que<br />
j’étais commissionné Commandant de navires du<br />
Service par le Ministre <strong>des</strong> P.T.T.<br />
Jusqu’alors, j’étais un second capitaine titularisé<br />
par la Direction <strong>des</strong> <strong>Câbles</strong> <strong>Sous</strong> <strong>Marins</strong> et je n’étais<br />
Commandant de l’Ampère qu’à titre intérimaire et, ce<br />
jour là, j’étais commissionné ! Il est a noter qu’en<br />
droit maritime, le Capitaine du navire que l’on appelle<br />
Commandant, selon l’usage, est considéré comme<br />
étant représentant de l’armateur et a <strong>des</strong><br />
responsabilités financières et commerciales et <strong>des</strong><br />
pouvoirs étendus, y compris celui de vendre<br />
(théoriquement) le bateau devenu innavigable, s’il<br />
juge que c’est l’intérêt de l’armement.(1)<br />
Inversement, l’armateur a le droit de licencier son<br />
Capitaine, du jour au lendemain, ce qui n’est pas le<br />
cas <strong>des</strong> autres membres de l’équipage.<br />
Donc, pour moi, c’est un grand jour et je veux faire<br />
partager ma joie à mes collègues et autres membres<br />
de l’équipage. Dès l’annonce de la nouvelle, du<br />
champagne a été mis au frais pour l’état major et du<br />
pastis a été sorti pour les gens du personnel<br />
d’exécution.<br />
Vers 17 heures, nous sommes réunis au premier<br />
carré où le vin est versé dans nos verres et les<br />
biscuits à la cuiller disposés dans nos assiettes. Au<br />
moment de porter un toast, quelqu’un vient nous<br />
prévenir qu’il y a du grabuge sur le quai. L’officier de<br />
garde, M. Lemoigne, est prié de régler l’affaire, il<br />
parle très bien l’anglais et saura se débrouiller.<br />
Il revient au bout de quelques instants :<br />
« Commandant, il faut que vous montiez ! Me dit-il »<br />
J’apprends qu’une « demoiselle » est passée et<br />
repassée devant le navire en criant "Fuck France" !<br />
L’homme de garde à la coupée est un corse, la<br />
France est insultée, il bondit sur le quai, elle<br />
recommence et le griffe au visage quand il<br />
s’écrie : »Faut pas dire ça » La police municipale,<br />
passant par là, sépare les combattants qui vont être<br />
conduits au commissariat, les policiers ne<br />
comprenant rien à toutes ces explications en<br />
français, avec l’accent corse et à l’anglais grossier de<br />
la « donzelle ».<br />
Cette dernière porte une salopette tâchée et celleci<br />
déborde de la graisse de sa propriétaire. Elle est<br />
boudinée dans ce vêtement et fait irrémédiablement<br />
penser au bonhomme Michelin : Bibendum. Par<br />
ailleurs, ordurière et mal embouchée, cette femelle<br />
encore jeune ne cesse de vitupérer dans une langue<br />
BIBENDUM<br />
Par L.C. Mertz<br />
que je ne comprends pas, mais il est évident qu’elle nous<br />
en veut.<br />
Je décide d’accompagner tout ce monde au<br />
commissariat pour porter plainte. C’est ainsi que, à ma<br />
demande, j’y vais, dans le panier à salade.<br />
Au poste de police, le chef, attiré par le bruit, dans la<br />
grande salle centrale, surgit. Il est costaud, un peu<br />
ventripotent et débonnaire. Il se fait mettre au courant par<br />
ses hommes tandis que l’horrible mégère continue à<br />
vomir <strong>des</strong> insultes. Je me présente et porte plainte au<br />
nom de la France et déclare que cette affaire ira à notre<br />
Ambassade. Le commissaire me fait face et se trouve<br />
derrière » Bibendum », donc elle ne peut voir sa<br />
mimique, il me fait <strong>des</strong> clins œil appuyés pour me dire<br />
que c’est une malheureuse et qu’il vaut mieux laisser<br />
tomber, les injures venant de si bas ne peuvent toucher<br />
toute une nation.<br />
Je me calme donc et apprends une fois sur le quai,<br />
notre corse pour protéger son visage avait saisi cette<br />
femme par les cheveux mais pas assez vite pour ne pas<br />
être lacéré, ce qui se voyait. La police était arrivée à cet<br />
instant. Nous finissons par quitter le poste, mon corse et<br />
moi. De retour à bord, le médecin m’assure que les<br />
griffures cicatriseront sans laisser de traces.<br />
Ayant rejoint mes collègues, je trouve mon champagne<br />
chaud, c’est tellement meilleur quand c’est frais !<br />
Quelque jours après, étant dans le bureau du<br />
commissaire du navire, on m’annonce une visite, il est 8<br />
heures du matin, le chef de la police, souriant me tend la<br />
main et, après quelques mots de conversation, me<br />
demande son petit déjeuner avant d’aller travailler. Je<br />
pense qu’il désire du jambon et <strong>des</strong> œufs frits. Ce n’est<br />
pas ça, il veut un grand verre de whisky que le maître<br />
d’hôtel lui apporte et qu’il boit d’un trait avec un<br />
claquement de la langue, un bruyante éructation et la<br />
mention : « It’s good » ! Ce petit jeu se renouvela tous les<br />
jours. Il est bon d’être l’ami du chef de la police.<br />
(1)Le capitaine avait de tels pouvoirs parce qu’il était<br />
isolé de l’armateur, mais les moindres décisions et<br />
compte rendu du voyage sont toujours l’objet du rapport<br />
de mer, obligatoire. Depuis l’invention de la radio et du<br />
Fax, rien ou presque ne se fait sans instructions<br />
(N.D.L.R)<br />
Coll. par A Van Oudheusden.