N. 46/47 Palomar : voyeur, voyant, visionnaire - ViceVersaMag

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Nos regards, nos yeux, ne sont-ils pas captifs de ce regard que posent sur nous les peintres,
les sculpteurs? Voici l'Ange au Sourire, dans la cathédrale Notre-Dame à Reims, qui semble se
pencher vers nous du haut de ses majestueuses ailes, son regard lointain, son sourire attendri,
presque moqueur dans l'expression de sa mansuétude, nous hantent, énigmatique aussi
est ce sourire dans la sévérité de son indulgence.
6 VICE VERSA • NUMÉRO 46-47
et ange fier de son élégant drapé, dont le sourire
flottant est d'une éternelle jeunesse sous ses
boucles de pierre, que pense-t-il de nous, voit-il
l'humanité avec amour ou indifférence? Sculpté au xni 1 '
siècle, il n'appartient pas aux ténèbres de son temps; bien
que, distante comme l'est son regard, sa tendresse inspire
de l'espoir, on sent la présence de cet ami radieux qui
nous guide dans son envol hésitant vers la lumière, car il
hésite, c'est cette attitude qui nous séduit chez cet Ange au
Sourire, le grand corps qui s'incline vers nous sous ses
larges ailes trouées, est indécis, réservé, dans sa bonté souveraine
et sa protection.
Sombre et décidé est l'Ange de Durer, le regard
absorbé par ses nuits de labeur, cet Ange rebelle ployé sous
de lourdes mélancolies est face à sa solitude profonde, tel
l'artiste confronté à sa tâche, il est, comme l'écrit
Théophile Gauthier, le vieux peintre Durer qui se peint
lui-même, le menton dans la main, il est ce géant de la
création, cet Ange des Arts et des Sciences assis parmi ses
outils de travail, la règle, le marteau, devant la table de
l'écriture, son regard brille du feu de son intelligence