Nulle part et partout - Je me livre ... Eric Vincent

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Nulle part et partout
L'appartement était quasiment vide. Presque plus de meubles. Les murs eux-mêmes étaient
dépouillés de leurs tableaux de peintres en vogue. Le jour de l'enterrement de ses parents !
Elle avait réussi à trouver des déménageurs un dimanche. Le spacieux quatre pièces duplex,
meublé de chêne et d'orme, était aussi nu qu'un bushman du Botswana. Elle avait eu la bonté
de lui laisser le réfrigérateur, la cuisinière ainsi qu'un matelas dans la chambre. Ses vêtements
avaient été jetés à même le sol.
Il ferma les yeux et serra les poings. Les lieux lumineux et d'ordinaire ensoleillés se
transformèrent soudain. Une autre image s'imposa à lui. Une lourde porte en chêne massif,
agrémentée de quelques sculptures, s'ouvrit devant lui. Il ne parvenait pas à distinguer
l'intérieur. Un homme âgé, rondouillard et courbé le précédait en se traînant, handicapé par le
poids des ans. Le hall s'éclaira. Un hall triste, poussiéreux, terne qui mesurait trente mètres
carrés au bas mot et s'ouvrait sur un escalier de pierre blanche. Il tourna la tête sur le côté
droit. Il y avait d'autres pièces. Il avançait lentement. Un coup d'oeil à gauche et à droite lui
laissa supposer que les salles affichaient une taille respectable, plusieurs dizaines de mètres
carrés. De nombreuses poutres de teinte foncée traversaient les plafonds de salles n'ayant pas
reçu une once de lumière solaire ou artificielle depuis des lustres. D'ailleurs, devant l'escalier, il
y avait un lustre particulier, comme ceux que l'on trouvait dans les tavernes des films de cape
et d'épée : une roue de carrosse suspendue par des chaînes au plafond.
La vision s'interrompit lorsque la sonnerie du téléphone retentit. Un frisson l'envahit. Une
mauvaise nouvelle l'attendait, il en était sûr.
- Christian Prieur, dit-il en décrochant l'appareil avant que le répondeur ne se déclenche.
- C'est Christine.
- Ah ?
Voilà la mauvaise nouvelle. Il s'agissait de sa future ex femme.
- Je voulais simplement te rassurer : tu n'as pas été victime d'un cambriolage.
- Non ? Vraiment ? Ceci est ton oeuvre : je reconnais ta signature.
- Comme tu risques de connaître de sérieuses difficultés financières sous peu, j'assure la
sauvegarde des meubles. Par ta faute, nous risquons de tout perdre. Ta situation personnelle
précipite donc le divorce et je ne te laisserai pas te servir de notre mobilier pour payer tes
dettes et les amendes qui en découlent.
- C'est tout ce que tu as à me dire ?
- N'oublie pas d'être à la conciliation demain matin !
- La conciliation ! Quelle mascarade !
- Désolée, je n'ai pas choisi le nom de cette procédure. Il va de soi que tu n'auras pas un mot à
dire et que je dicterai mes désirs. Tu as tous les torts.
- Tous les torts ? Ah ! J'oubliais la nouvelle loi. Divorce à cent pour cent des torts pour le
conjoint passible d'une liquidation personnelle. Que de lois merveilleuses !