Nulle part et partout - Je me livre ... Eric Vincent
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<strong>Nulle</strong> <strong>part</strong> <strong>et</strong> <strong>part</strong>out<br />
leur parler, dire combien il les aimait, combien il les re<strong>me</strong>rciait du bonheur de son enfance.<br />
Mais ils ne l'entendaient pas. Ils étaient innocents. Pourquoi ? Pourquoi ?<br />
Une explosion déchiqu<strong>et</strong>a l'appareil. Dans un assourdissant tonnerre de tôles tordues, la<br />
queue de l'appareil se détacha du reste. La brusque décompression plongea plusieurs<br />
personnes dans l'inconscience. C'était un moindre mal. L'air rare à c<strong>et</strong>te altitude fou<strong>et</strong>tait<br />
cependant les visages avec une rare violence. Les époux Prieur, sanglés sur leurs sièges, reliés<br />
à c<strong>et</strong>te misérable portion de carlingue, virent les autres <strong>part</strong>ies du Jumbo s'éparpiller au-dessus<br />
des côtes françaises. Plusieurs explosions, dues c<strong>et</strong>te fois-ci au kérosène stocké dans les ailes,<br />
achevèrent le fleuron de l'aéronautique américaine. Jacques <strong>et</strong> Solange Prieur mêlèrent leurs<br />
doigts une dernière fois, dans un mê<strong>me</strong> élan. Christian était toujours près d'eux. La chute n'en<br />
finissait pas. Dix mille mètres, mê<strong>me</strong> à près de deux cents kilomètres à l'heure, cela durait tout<br />
de mê<strong>me</strong> trois minutes. Sur leurs visages déformés par la vitesse, il ne lisait plus que l'horreur<br />
<strong>et</strong> la surprise. En moins de trente secondes, la résignation avait pris place dans leurs esprits. Ils<br />
se serrèrent l'un contre l'autre, joue contre joue, évitant soigneuse<strong>me</strong>nt de porter leurs regards<br />
vers le sol. Il perçut leurs ulti<strong>me</strong>s mots d'amour, de tendresse. Il les entendit com<strong>me</strong> si le sort<br />
avait voulu qu'il soit près d'eux en ces derniers instants. Le sol sec <strong>et</strong> caillouteux des environs<br />
de Nî<strong>me</strong>s se rapprocha très vite. C'était terminé. Il ressentit un choc terrible, des dizaines de<br />
G dans la colonne vertébrale. Les corps se disloquèrent com<strong>me</strong> des pantins usés de<br />
marionn<strong>et</strong>tistes d'une époque passée. La douleur fut une nouvelle explosion, plus terrible<br />
celle-là. L'extrémité de l'avion se dispersa com<strong>me</strong> une pluie de conf<strong>et</strong>tis. Son siège s'était<br />
éventré, la structure métallique était devenue une ar<strong>me</strong> acérée le transperçant de <strong>part</strong> en <strong>part</strong>.<br />
Son père bougea encore, soulevant une main qu'il tendit vers lui <strong>et</strong> qui s'affaissa brutale<strong>me</strong>nt,<br />
ses vaisseaux sanguins ayant presque tous explosé. Sa mère s'était brisée <strong>et</strong> reposait sur<br />
l'épaule de son mari. Unis jusqu'au dernier instant.<br />
- Christian ? Appela une voix lointaine.<br />
Une autre voix familière, puis la sensation qu'on tapotait douce<strong>me</strong>nt sur son épaule. Patrick le<br />
secoua davantage.<br />
- Eh ! Tu te sens mal ? Tu veux que je te soutienne ?<br />
Christian revint lente<strong>me</strong>nt. Il avait rêvé, cauchemardé. Il vivait le dra<strong>me</strong> de ses parents. Un<br />
rêve éveillé ? Ou bien avait-il plongé dans le som<strong>me</strong>il l'espace de quelques minutes ? Il<br />
n'éprouvait pas de senti<strong>me</strong>nt de perdition, c<strong>et</strong>te brève sensation ressentie au réveil. Il s'était<br />
juste "absenté" quelques instants.<br />
La cérémonie, à l'église, prit fin. Il devait subir l'enterre<strong>me</strong>nt propre<strong>me</strong>nt dit, au cim<strong>et</strong>ière<br />
distant d'à peine cinquante mètres.<br />
Les images réapparurent par brèves impulsions, com<strong>me</strong> s'il jouait avec une télécommande,<br />
zappant d'un program<strong>me</strong> à l'autre. Il s'agissait d'extraits du film qu'il venait de visionner. Son<br />
cerveau lui jouait-il des tours ? Il s'agissait d'un phénomène très handicapant car son champ<br />
de vision était totale<strong>me</strong>nt entravé par ces images. Il imagina le désagré<strong>me</strong>nt <strong>et</strong> surtout le<br />
danger qu'il courrait si, par malheur, ces troubles survenaient au volant.