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Nulle part et partout - Je me livre ... Eric Vincent

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Dimanche 26 décembre, 15 heures.<br />

4<br />

<strong>Nulle</strong> <strong>part</strong> <strong>et</strong> <strong>part</strong>out<br />

Le bedeau du village dut tempérer son ardeur coutumière à sonner les cloches. En eff<strong>et</strong>,<br />

d'habitude, il s'agrippait à la corde usée <strong>et</strong> se balançait com<strong>me</strong> un grand primate, secouant le<br />

bronze du clocher à toute volée. Les mariages, il adorait. Quand par malheur ou par hasard,<br />

les fêtards oubliaient d'apporter du riz pour les mariés, il se précipitait dans sa cach<strong>et</strong>te secrète,<br />

derrière la sacristie, afin d'en r<strong>et</strong>irer quatre ou cinq kilos.<br />

Hélas... Aujourd'hui, il aurait été malvenu de lancer l'ali<strong>me</strong>nt préféré des Chinois. Un<br />

enterre<strong>me</strong>nt avait lieu. Un double enterre<strong>me</strong>nt. Pas question de donner un air de fiesta, il<br />

fallait se contenter de sonner le glas. Deux cents personnes s'étaient entassées dans c<strong>et</strong>te église<br />

de campagne, une bâtisse romane aux pierres noircies par le temps, perdue au milieu des<br />

champs. La pluie poisseuse avait rendu la terre collante ; les voitures, p<strong>et</strong>ites ou grandes,<br />

s'étaient embourbées dans la glaise grasse.<br />

En c<strong>et</strong>te triste fin de mois de décembre, le plafond gris mêlé aux gaz nocifs crachés par les<br />

usines empêchait la pénétration de la lumière naturelle à travers les vitraux aux motifs naïfs. A<br />

l'intérieur, chacun écoutait religieuse<strong>me</strong>nt l'oraison du père Fabre. Christian ferma les yeux.<br />

Entre la pénombre à peine percée par les lueurs dansantes des cierges <strong>et</strong> l'obscurité, il préférait<br />

le noir des ténèbres. Christian Prieur, trente ans, futur divorcé <strong>et</strong> nouvelle<strong>me</strong>nt promu au rang<br />

d'orphelin. Orphelin depuis qu'un terroriste avait pris pour cible le quadriréacteur ra<strong>me</strong>nant<br />

ses parents de Tunis. Leur premier voyage en avion. Le dernier. L'appareil s'était volatilisé<br />

près de Nî<strong>me</strong>s alors qu'il devait se poser à Orly. Ensuite, les époux Prieur devaient<br />

redescendre à Clermont-Ferrand en train, le plus long voyage.<br />

Il ignorait le contenu des cercueils. Les gendar<strong>me</strong>s, les sauv<strong>et</strong>eurs, les policiers avaient<br />

récupéré ce qu'ils avaient pu : des vête<strong>me</strong>nts, des chaussures, des bagages... <strong>et</strong> des corps<br />

désarticulés. Christian n'écoutait pas le sermon. Il se contentait de palper l'atmosphère lourde<br />

de lar<strong>me</strong>s, de mouchoirs en papier. Des voiles noirs, des lun<strong>et</strong>tes noires pour masquer tant<br />

bien que mal la douleur rongeant les yeux. Il serra les dents. L'intégris<strong>me</strong> avait frappé, une<br />

fois de plus, se dissimulant derrière l'étoffe assassine ne laissant transpercer que la haine<br />

inscrite au fond des â<strong>me</strong>s.<br />

Presque tous les siens le soutenaient. Mê<strong>me</strong> si sa fem<strong>me</strong> était présente, ce n'était que par pure<br />

politesse. Elle n'éprouvait plus le moindre senti<strong>me</strong>nt pour lui depuis des lustres. Usure du<br />

couple, mauvais choix au dé<strong>part</strong>, accident de parcours ? Peu importait. Le résultat donnait<br />

une désastreuse union. Une réunion sans intersection, pour utiliser un ter<strong>me</strong> mathématique.<br />

D'ailleurs, Christine se tenait au fond, conséquence d'un r<strong>et</strong>ard habituel, mê<strong>me</strong> les jours<br />

d'enterre<strong>me</strong>nt. Qui étaient les siens ? Des cousins, des oncles, pour les plus proches. Il était<br />

fils unique <strong>et</strong> n'avait pas d'enfant. Personne. Personne pour le soutenir, après c<strong>et</strong>te épreuve.

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