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Le Réveil <strong>du</strong> Dragon<br />
Un jour que la reine Guenièvre et <strong>La</strong>ncelot <strong>du</strong> <strong>La</strong>c s’étaient, selon leur habitude, retrouvés dans un<br />
endroit écarté où ils conversaient seule à seul, voici qu’en pleine conversation, la reine dit : « <strong>La</strong>ncelot,<br />
je suis tourmentée de remords à cause de toi. » <strong>La</strong>ncelot prit un air étonné. « Comment cela ? demanda-til.<br />
– C’est que, repartit Guenièvre, je t’ai soupçonné fort injustement à propos de la Demoiselle<br />
d’Escalot. C’était folie de ma part, et je sais bien que si tu l’avais aimée d’un si grand amour que<br />
d’aucuns voulaient me le faire accroire, elle ne serait pas <strong>mort</strong>e de douleur. – Morte ? Et comment ?<br />
Quand ? demanda <strong>La</strong>ncelot. – Hélas ! oui, <strong>mort</strong>e, et <strong>mort</strong>e de douleur, pour t’avoir aimé sans espoir. Elle<br />
gît à présent dans l’église de Kamaalot. » <strong>La</strong>ncelot fut tout attristé par cette nouvelle. « Certes, dit-il,<br />
voilà un grand malheur, car cette jeune fille était fort belle et douée de grandes qualités. »<br />
Ainsi devisaient ce jour-là les deux amants, et si <strong>La</strong>ncelot avait auparavant passionnément aimé la<br />
reine, il l’aimait pourtant désormais davantage encore, et de même en était-il pour elle. Ils ne pouvaient<br />
plus se passer l’un de l’autre, et ils en perdirent si follement toute prudence que plusieurs des<br />
compagnons de la Table Ronde, notamment Gauvain et ses quatre frères, ne purent plus rien ignorer. Et ce<br />
spectacle décupla la haine qu’Agravain vouait depuis si longtemps au fils <strong>du</strong> roi Ban.<br />
Or, il advint une fois que Gauvain, Agravain, Gahériet, Gareth et même Mordret, lequel ne fréquentait<br />
pourtant guère ses frères, se trouvèrent tous les cinq ensemble dans la grande salle de Kamaalot. Et ils<br />
s’entretenaient avec animation de la liaison manifeste de Guenièvre et de <strong>La</strong>ncelot. Agravain était le plus<br />
acharné à dénoncer l’indignité de <strong>La</strong>ncelot. Or, pendant qu’ils parlaient, le roi sortit par hasard des<br />
appartements de la reine et aussitôt Gauvain dit aux autres : « Taisez-vous donc, ne dites rien devant le<br />
roi ! » Mais Agravain répondit avec insolence qu’il n’avait aucune raison de se taire. <strong>Arthu</strong>r entendit ces<br />
paroles et lui dit : « Mon neveu, sur quel sujet n’as-tu donc aucune raison de te taire ? » Gauvain, très<br />
gêné, se dépêcha d’intervenir : « Bel oncle, dit-il, laisse cela. Agravain s’emporte toujours pour des<br />
bagatelles qui ne méritent pas la moindre attention. Ne te mets donc pas en peine de savoir le motif de cet<br />
emportement. Nul n’y gagnerait, ni toi ni personne d’autre.<br />
— Au nom de Dieu tout-puissant, insista le roi, je veux quand même le savoir ! – <strong>La</strong>isse, mon oncle,<br />
s’interposa Gahériet, Agravain ne sait raconter que fables et mensonges. Avec ta permission, crois-en<br />
mon conseil, renonce, en tant que seigneur lige, à nous questionner davantage. – Je n’en ferai rien. Au<br />
contraire, je t’ordonne, sur le serment que tu m’as juré, de me dire quel était le sujet de votre<br />
discussion. » Gauvain répondit alors : « C’est merveilles, dit-il, que d’en exiger des nouvelles ! Pour ce<br />
qui est de moi, <strong>du</strong>sses-tu même te fâcher et me chasser de cette terre, je ne t’en dirai rien, car si tu te<br />
mêlais d’y croire, alors qu’il s’agit de pure invention, peut-être en adviendrait-il le pire des malheurs. »<br />
Non moins que le silence des trois autres frères, ces réticences, de la part de Gahériet et de Gauvain,<br />
eurent le don d’intriguer davantage le roi qui, se fâchant tout rouge, s’écria qu’il les détruirait tous s’ils<br />
ne parlaient pas. « Par ma foi, lui répondit calmement Gauvain, ce n’est pas de moi que tu l’apprendras,<br />
car je n’y récolterais en fin de compte que ta haine, et il n’y aurait personne, ni moi ni aucun autre, qui ne<br />
s’en repentît. » Sur ce, et sans ajouter une parole, il quitta la salle, suivi immédiatement par Gahériet. Et<br />
<strong>Arthu</strong>r eut beau les rappeler à plusieurs reprises, ils affectèrent de n’avoir rien enten<strong>du</strong> et s’en allèrent,<br />
on ne peut plus contrariés. Ils se désolaient en effet qu’on eût attaqué ce sujet, car si le roi, ayant<br />
connaissance de la vérité, s’en prenait à <strong>La</strong>ncelot, c’en serait fait des compagnons de la Table Ronde.<br />
Non seulement le royaume d’<strong>Arthu</strong>r s’en trouverait déshonoré, mais il perdrait le plus fidèle et le plus