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fâché contre moi, mais je me demande pour quelle raison ! – <strong>La</strong>ncelot, répondit Bohort, tu es bien naïf. Il<br />
est certain qu’il a eu vent de tes relations avec la reine. Prends bien garde à tes moindres gestes, car nous<br />
risquons un conflit qui ne prendra jamais fin. – Mais qui donc aura pu lui parler de cette affaire ? – S’il<br />
s’agit d’un homme, affirma Bohort, il ne peut être qu’Agravain qui te hait et te jalouse à un point que tu<br />
n’imagines même pas. Et s’il s’agit d’une femme, Morgane est celle-là, qui de longue date veut se venger<br />
<strong>du</strong> mépris dans lequel tu l’as toujours tenue. Sois prudent, <strong>La</strong>ncelot, ne te fie à personne d’autre qu’à moi,<br />
car j’ai bien l’impression que l’on nous surveille. »<br />
Le lendemain, à la jeunesse <strong>du</strong> jour, Gauvain dit à <strong>La</strong>ncelot : « Gahériet et moi allons dans la forêt en<br />
compagnie <strong>du</strong> roi. Te joins-tu à nous ? – Je crois que le roi n’y tient pas. Je resterai ici avec Bohort et<br />
Hector. » Gauvain et Gahériet s’en allèrent donc rejoindre <strong>Arthu</strong>r qui se préparait pour la chasse. Mais<br />
dès que celui-ci fut parti, la reine Guenièvre dépêcha un messager à <strong>La</strong>ncelot, lequel était encore couché,<br />
pour lui dire de ne pas manquer à venir la rejoindre. Ce dont <strong>La</strong>ncelot se réjouit fort, tant le brûlait le<br />
désir d’aller voir la reine.<br />
Cependant, les paroles de Bohort lui revinrent en mémoire : il devait se méfier et prendre garde qu’on<br />
ne l’aperçût. Aussi pria-t-il son cousin de le conseiller en telle occurrence. « N’y va pas ! répondit<br />
Bohort. C’est beaucoup trop dangereux. – Tu sais bien que je ne saurais résister, lui dit <strong>La</strong>ncelot. Du<br />
reste, je serais bien sot si je ne profitais de l’absence <strong>du</strong> roi ! – Eh bien ! reprit Bohort, si tu ne peux t’en<br />
priver, alors, hâte-toi, mais il n’en résultera rien de bon, mon cœur me le dit, qui pourtant ne s’est jamais<br />
alarmé pour toi ! Enfin, si tu persistes malgré tout dans ton intention, passe, si tu m’en crois, par ce<br />
jardin : il s’étend jusque sous les fenêtres de la chambre de la reine, et tu ne saurais emprunter de chemin<br />
plus tranquille car personne n’y va jamais. Cependant, si tu ne veux pas que je meure d’angoisse, prends<br />
ton épée, je t’en supplie ! »<br />
Suivant point par point les recommandations de Bohort, <strong>La</strong>ncelot s’engagea donc dans le sentier qui<br />
menait à la maison <strong>du</strong> roi. Mais Agravain, qui avait disposé des sentinelles un peu partout, en fut<br />
immédiatement averti et, depuis l’une des fenêtres qui donnaient sur le jardin, l’aperçut s’approcher de la<br />
tour en se cachant dessous les arbres. Alors, réunissant ses hommes, il leur dit : « Le voici. Prenez garde<br />
qu’il ne nous échappe ! » Ils répondirent en ricanant qu’une fois tout nu dans le lit de la reine, <strong>La</strong>ncelot ne<br />
pourrait plus se tirer <strong>du</strong> piège. Alors, une grande joie envahit Agravain qui, d’avance, se délecta <strong>du</strong><br />
moment qui verrait sa haine assouvie pleinement.<br />
Cependant, quand <strong>La</strong>ncelot eut pénétré dans le manoir <strong>du</strong> roi, il en ferma soigneusement la porte<br />
derrière lui afin de ne pas éveiller le moindre soupçon. Puis, allant jusqu’à la chambre de Guenièvre, il<br />
s’y dévêtit et se glissa près de la reine. Éper<strong>du</strong> de désir, il étreignit celle-ci avec fougue et se livrait avec<br />
elle aux plus ardentes des joutes d’amour quand se présentèrent à la porte les gens qu’Agravain avait<br />
chargés de les surprendre. Mais trouvant cette porte fermée, ils interrogèrent Agravain sur la marche à<br />
suivre, et il leur ordonna d’enfoncer la porte.<br />
Au fracas que cela fit, Guenièvre s’arracha des bras de <strong>La</strong>ncelot, se dressa sur son séant et s’écria :<br />
« Mon ami ! nous sommes trahis ! » Quant à lui, tendant l’oreille, il comprit qu’on s’acharnait contre le<br />
vantail. « Ah ! reprit la reine, nous sommes per<strong>du</strong>s ! Je suis sûre que c’est Agravain qui veut nous<br />
surprendre ! – Ne t’inquiète pas, répondit <strong>La</strong>ncelot, il aura ce qu’il a cherché ! Sa <strong>mort</strong> précédera la <strong>mort</strong><br />
de tous ceux qui veulent se saisir de nous ! » Se jetant alors tous deux à bas <strong>du</strong> lit, ils se couvrirent <strong>du</strong><br />
mieux qu’ils purent. « Dame, dit <strong>La</strong>ncelot, aurais-tu ici un haubert ou une armure dont je puisse me<br />
protéger ? – Hélas ! non ! répondit Guenièvre. Notre malheur veut que nous périssions tous deux. J’en<br />
suis fâchée plus encore pour toi que pour moi, car ta <strong>mort</strong> serait un plus grand malheur que la mienne.<br />
Pourtant, s’il plaisait à Dieu que tu pusses t’échapper sain et sauf, il n’est pas encore né, celui qui, te<br />
sachant vivant, oserait me con<strong>du</strong>ire à la <strong>mort</strong> ! »<br />
En entendant ces mots, <strong>La</strong>ncelot sentit redoubler ses forces. Il se dirigea vers la porte en homme qui ne