MANUEL GENERAL - INRP
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La loi qui a établi l'enseignement obligatoire<br />
n'est pas obéie. Personne n'a signifié au petit<br />
vacher vagabond qu'il existe pour tous les enfants<br />
de France un devoir scolaire, et je rencontre<br />
dans nos rues d'autres errants qui ne<br />
prennent jamais le chemin de l'école. Il en est<br />
de môme en d'autres endroits de France, puisque<br />
l'année dernière neuf mille conscrits, disent<br />
les uns, quatorze mille, disent les autres, sont<br />
arrivés au régiment, qui ne savaient ni lire ni<br />
écrire. Mais combien de milliers d'autres ne savent<br />
qu'épeler ou dessiner péniblement les lettres<br />
de l'alphabet? Combien de ces jeunes Français<br />
répondraient à la question : « Qu'est-ce que<br />
la France? »<br />
L'école en effet n'a pas seulement ses réfractaires,<br />
elle a ses irréguliers qui trop souvent<br />
manquent à l'appel ; ici même nous nous plaignons<br />
du nombre de ces absences.. D'autre part<br />
il arrive, surtout dans les villes, que les écoliers<br />
sont trop nombreux dans les classes et que<br />
l'enseignement demeure inefficace pour beaucoup.<br />
Et partout la durée des études primaires<br />
est trop courte.<br />
La lecture de vos programmes est inquiétante ;<br />
on y voit le naturel désir de vous faire apprendre<br />
en si peu de temps le plus de choses possible;<br />
mais malgré les ressources d'une pédagogie<br />
ingénieuse et l'énorme dépense de force que<br />
font vos maîtres et vos maîtresses, et qui chaque<br />
année ruine tant de santés, on ne peut espérer<br />
que cette foule de notions diverses se classent<br />
distinctement dans tant de jeunes têtes et s'y<br />
fixent pour jamais.<br />
On m'a cité beaucoup de mots d'écoliers et<br />
d'écolières; en voici un d'une petite fille d'ici<br />
qui me revient à la mémoire. L'enfant avait<br />
reçu cfans la journée plusieurs leçons dont une<br />
de*géographie, et une de catéchisme. La mère<br />
voulut lui faire repasser la leçon de catéchisme;<br />
elle demanda : « Qu'est-ce que Dieu? » La petite,<br />
combinant la géographie et la théologie,<br />
répondit tranquillement : « Dieu est un pur esprit<br />
entouré d'eau de tous les côtés. » Je sais<br />
bien que les réponses d'étourneau sont naturelles<br />
à vos âges et que peu à peu vous apprenez,<br />
ou du moins les meilleurs d'entre vous apprennent<br />
à réfléchir. C'est égal ! Une éducation<br />
tant encombrée et hâtive dépasse les forces d'un<br />
enfant.<br />
Si encore cette éducation ne finissait pas avec<br />
l'école! Mais c'est le cas pour le plus grand<br />
nombre d'entre vous. Au sortir de l'école, bonsoir<br />
les livres! Et peu à peu, dans tes mémoires,<br />
s'effaceront les souvenirs superficiels, comme<br />
s'effacent sur les mauvaises photographies les<br />
traits des visages. Sans doute, il existe des œuvres<br />
post-scolaires; mais, malgré tant de bonnes<br />
volontés, combien elles sont imparfaites encore!<br />
Peut-être bien m'accusera-t-on de préparer<br />
des arguments à ceux qui, après avoir dénoncé<br />
la faillite de la science, crient la faillite de<br />
l'école. Mais, pas plus que la science, l'école n'a<br />
fait faillite. De grands progrès ont été obtenus.<br />
Si je compare les écoliers d'aujourd'hui avec<br />
ceux de l'école dont je vous ai plusieurs fois<br />
parlé, l'école de « nô-maître », et nos maîtres<br />
avec vos maîtres, il me semble que ce soient,<br />
à un demi-siècle de distance, deux peuples différents.<br />
L'effort qui reste à faire, et qui est très<br />
considérable, on le fera. En ce moment même<br />
PARTIE GÉNÉRALE 563<br />
les pouvoirs publics s'en préoccupent. Les pouvoirs<br />
publics savent la valeur de l'école.<br />
Ils savent qu'ils ont envers elle des obligations<br />
essentielles, particulières à notre régime I<br />
de démocratie républicaine. Un des abus qu'on<br />
reprochait le plus à l'ancien régime, c'était que<br />
les privilégiés, parce qu'ils s'étaient donné la<br />
peine de naître, arrivassent tout jeunes à de<br />
hauts emplois; colonels à dix ans et magistrats<br />
à dix-huit. Mais, dites-moi, s'il suffit pour parvenir<br />
à la charge de citoyen, de se donner la<br />
peine de venir au monde, comme le petit vacher<br />
qui sera électeur un jour aussi bien que<br />
vous, n'est-ce pas une absurdité aussi grande<br />
que celle de l'ancien régime et plus dangereuse?<br />
Un jour ne suffira pas pour remédier à ces<br />
imperfections de notre régime scolaire;les causes<br />
en sont nombreuses et graves.<br />
Aujourd'hui, des enfants ne peuvent se présenter<br />
à l'école parce qu'ils sont habillés de<br />
guenilles, et « à pieds déchaux ».<br />
Des pères et des mères ont besoin du travail<br />
de leurs petits. Il faudra donc renforcer l'assistance<br />
sociale. Il faudra, d'autre part, augmenter<br />
le nombre des maîtres, prolonger la durée de<br />
l'école, organiser l'éducation post-scolaire. Cela<br />
coûtera très cher. Kt je n'espère pas voir, mais<br />
j'espère que vous verrez tous les petits Français<br />
prendre leur place dans l'école agrandie, dans<br />
l'école prolongée.<br />
Alors sera vraiment mis en valeur tout notre<br />
peuple de France.<br />
Mes enfants, je vous dirai en terminant que<br />
ce peuple mérite qu'on se donne de la peine<br />
pour le bien élever, car il est le. meilleur des<br />
peuples. Il a certes ses défauts, qu'il est le premier<br />
à reconnaître, mais combien de qualités<br />
et de vertus !<br />
D'abord, il n'est pas sot du tout ; il comprend<br />
vite ce qu'on se donne la peine de lui expliquer.<br />
Il est très généreux, il se passionne pour les<br />
grandes idées; en même temps, il a du bon<br />
sens, Il se laisse séduire aux belles paroles et<br />
aux gestes de l'éloquence ; nulle part plus facilement<br />
que chez nous on ne crie: «Allons-y ! »<br />
Et l'on y va en effet. Mais une voix intérieure<br />
murmure : « Faudrait voir tout de même ! » Et<br />
l'on regarde, et l'on voit.<br />
Dans notre régime d'absolue liberté, bien des<br />
idées extraordinaires, ou même monstrueuses,<br />
nous sont proposées. Elles mènent quelquefois<br />
un bruit terrible ; mais elles disparaissent,<br />
comme la comète qui devait ces jours-ci réduire<br />
la terre en poudre et en fumée; après<br />
avoir seulement troublé quelques faibles têtes,<br />
elle a filé piteusement.<br />
Personne ne fera croire à notre peuple, si<br />
humain d'ailleurs, et le meilleur serviteur de<br />
l'humanité, qu'il doive renoncer à sa vie propre<br />
et personnelle et cesser d'être une patrie, La<br />
France est contente d'être et résolue à demeurer<br />
la France.<br />
Personne ne nous fera croire non plus que<br />
nous devions retourner sous le sceptre et gous<br />
la crosse redorée de nos maîtres et de nos<br />
pasteurs d'autrefois; ni qu'il soit possible d'ouvrir,<br />
un beau jour, par la vertu de quelques<br />
formules, ou par l'effet d'une grève d'aiguilleurs,<br />
l'ère de la perfection sociale.<br />
Notre peuple n'a pas encore pris toutes les<br />
mœurs de la liberté, ce qui n'est pas étonnant ;