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<strong>Ma</strong> <strong>plus</strong> <strong>belle</strong> <strong>histoire</strong><br />
Il s’appelait Arthur, il habitait la même ville que moi, il avait deux filles, son<br />
épouse était décédée deux ans auparavant lors du dernier accouchement. Il<br />
avait un magasin de plomberie, il avait 40 ans, les cheveux noirs, un large<br />
sourire, un regard perçant et un tempérament hors du commun qui faisait de<br />
lui quelqu’un de bienveillant, d’unique et qui allait devenir sans le vouloir<br />
une personne significative dans ma vie. Lors de ma rencontre avec Arthur, je<br />
devais avoir 15 ou 16 ans. À ce moment-là, je traversais la période la <strong>plus</strong><br />
sombre de ma vie. À 15 ans, j’aurais dû normalement m’amuser avec mes<br />
copains, sortir avec des filles, aller au cinéma, faire mes propres expériences<br />
et découvertes dans le monde mystérieux de l’intimité sexuelle et affective.<br />
À 15 ans, on recherche sa propre identité, on essaie de devenir soi-même<br />
pour affronter de son mieux l’avenir que l’on a devant soi, mais cela n’était<br />
pas mon cas. À 15 ans, je suis devenu chef de famille, chef d’une famille<br />
décimée par la guerre, prenant soin d’une mère folle de chagrin, impuissante<br />
face au destin, ce destin implacable qui nous promet tout et ne nous<br />
donne rien. J’avais l’impression d’avoir été catapulté dans un monde d’adultes,<br />
hostile et sans les outils nécessaires pour y survivre. J’en étais sûr que, tôt ou<br />
tard, j’allais finir par sombrer dans le désespoir le <strong>plus</strong> total ou dans un vice<br />
quelconque, question de faire disparaître toutes les nouvelles responsabilités<br />
que j’avais sur les épaules, mais c’est là qu’Arthur est entré dans ma vie.<br />
Je ne me rappelle <strong>plus</strong> comment je l’ai connu. Au début, il m’intimidait,<br />
mais je ne me suis jamais senti rejeté par lui. En sa présence, je me sentais<br />
maladroit ; malgré cela, j’aimais être avec lui, j’avais un plaisir fou à l’observer,<br />
j’avais l’impression d’être une éponge absorbant tout de lui ; dans le fond<br />
de moi-même, je rêvais de devenir comme lui : avoir sa force de caractère,<br />
inspirer chez les autres la confiance et la bienveillance qui faisait de lui un<br />
homme fort. Il avait cette capacité de deviner mes pensées, mes états d’âme,<br />
mes angoisses et mes questionnements intérieurs. Il avait « l’humilité » de<br />
reconnaître mes qualités. Il savait garder le silence sans me faire sentir coupable.<br />
Il reconnaissait mes joies. Il respectait mes chagrins. Il était capable<br />
de corriger mes écarts de conduite. Il était capable d’éveiller en moi la fierté<br />
du travail bien accompli. Il m’a montré à conduire. Il m’a poussé à toujours<br />
remettre en question mes choix et la raison de ceux-ci. Il m’a aidé à développer<br />
mon sens critique, à me surpasser, à devenir un « homme responsable »<br />
avant mon temps. Il m’a montré à faire appel aux forces qui renaissent des<br />
cendres du désespoir.<br />
J’avais 22 ans la dernière fois que je l’ai vu. C’était le 26 octobre 1986, date<br />
à laquelle j’ai quitté le pays, sa photo quelque part dans mes bagages, le<br />
souvenir d’une étreinte maladroite et un terrible chagrin dans le fond de