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<strong>Ma</strong> <strong>plus</strong> <strong>belle</strong> <strong>histoire</strong><br />
Les mois avaient passé, quatorze mois exactement, et Joanie ne semblait pas<br />
pressée de s’asseoir, de marcher, même de tenir sa tête. Alors quelques<br />
coups de téléphone <strong>plus</strong> tard, j’étais assise dans le cabinet d’un docteur qui,<br />
je vous l’avoue, ressemblait à tous les autres. J’expliquai mes inquiétudes au<br />
pédiatre. Ensuite sur sa demande, je dévêtis ma puce. Il la regarda, la plia,<br />
la replia, la tourna. Joanie semblait rigoler, elle semblait se demander ce que<br />
cet homme cherchait. La séance étant terminée, le docteur s’était assis et<br />
m’avait dit : « C’est clair que votre enfant est atteint de paralysie cérébrale et<br />
qu’elle ne marchera sûrement jamais ». En entendant ces paroles, on aurait<br />
dit que mon esprit s’était détaché de mon corps. Je le voyais, il me parlait,<br />
ses lèvres bougeaient, mais pourtant aucun son ne venait à mes oreilles : le<br />
« CHOC ».<br />
Arrivée à la maison, j’avais pleuré, pleuré toute la nuit, même si au fond<br />
j’ignorais l’ensemble des conséquences de la paralysie, mais justement<br />
c’était l’inconnu et j’avais peur. Je savais désormais qu’elle ne serait jamais<br />
comme le petit Miguël d’en face, Jérémi le voisin ou même ma nièce Niki<br />
Lee. Quelques jours avaient passé, le calme était revenu et je réalisai que,<br />
avant le diagnostic et après, elle restait la même : elle me semblait encore<br />
<strong>plus</strong> <strong>belle</strong>, <strong>plus</strong> forte.<br />
Un jour, je tombai sur un poème de Hélène Muiller. Enfin, quelqu’un qui<br />
semblait avoir fait un bout de chemin similaire au mien, mais elle, elle était<br />
parvenue à le mettre en mots. Elle expliquait le fait d’avoir un enfant malade<br />
en faisant une métaphore avec la symbolique du voyage. Elle racontait en<br />
effet la grossesse comme une préparation à un voyage en Italie :<br />
On achète des tas de guides, on planifie et on imagine. Plein de gens<br />
ont déjà vu l’Italie et nous vantent les mérites de ce pays. <strong>Ma</strong>is quand<br />
la vie nous donne un enfant handicapé, c’est comme si dans l’avion<br />
l’agent de bord se lève et dit : « Bienvenue en Hollande ! ». « En<br />
Hollande ! », je suis sensée aller en Italie… Toute ma vie, j’ai rêvé de<br />
ce pays… Or, il y a eu des changements dans le plan de vol et désormais<br />
c’est ici que l’on doit rester. La chose importante à comprendre,<br />
c’est qu’on ne se retrouve pas dans un endroit sale où règnent famine<br />
et maladies, c’est juste un endroit différent.<br />
À partir de cet instant, j’ai compris qu’on doit sortir, aller chercher de nouveaux<br />
guides et apprendre une nouvelle langue, sans compter qu’on fera<br />
alors la connaissance de nouvelles personnes qu’on n’aurait jamais rencontrées<br />
autrement. C’est un endroit où le rythme est un peu <strong>plus</strong> lent, mais<br />
lorsqu’on y a séjourné un certain temps, qu’on a pu reprendre son souffle et<br />
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