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© Martine Doyon<br />
Chaque année, un magazine littéraire anglais remet le<br />
« Bad Sex Award » à la pire scène de sexe en littérature.<br />
Invariablement, parmi les sélectionnés, on retrouve 80<br />
à 90% d’hommes. Pensez-vous que les femmes écrivent<br />
mieux sur le sexe que les hommes? Oui, je le pense. Et je<br />
crois savoir pourquoi. Entre filles, on passe notre vie à se décrire<br />
des scènes de sexe : parfois ça frise les oreilles tellement on<br />
se donne des détails! On a un désir d’en parler et d’en entendre<br />
parler. On analyse le sexe constamment, on se donne des trucs.<br />
<strong>Le</strong>s gars, en revanche, restent vagues, ne s’en parlent jamais<br />
en détail.<br />
Avez-vous peur du regard des autres? Avant Sexe chronique,<br />
je n’avais jamais écrit. J’ai hésité avant de publier, pensant à<br />
la façon dont les gens me verraient… Mais les gens sont très<br />
respectueux, intéressés. Ils me disent « bravo » d’avoir eu le<br />
courage d’écrire.<br />
Et de celui de vos parents? Au moment où j’ai dit à ma<br />
mère de quoi parlait mon livre — des expériences sexuelles<br />
—, elle s’est écriée « moi aussi, j’en ai eu des comme ça! » Et<br />
c’était parti pendant deux heures. J’aurais aimé avoir une<br />
enregistreuse.<br />
Pierre-Marc Drouin, auteur de Si la tendance se<br />
maintient et de Mile End Stories (Québec Amérique).<br />
Écrire une scène de sexe, est-ce pour vous un exercice<br />
simple ou difficile? Aujourd’hui, je me rends compte qu’il<br />
s’agit d’une de mes forces comme auteur, et pourtant, le tout<br />
se fait en général très naturellement. J’avancerais même que<br />
j’ai davantage de facilité à écrire une scène de sexe qu’à<br />
déplacer un personnage d’un point A à un point B.<br />
<strong>Le</strong>ctures suggestives<br />
Qui de mieux placé qu’un spécialiste de la sociologie de la<br />
sexualité pour dresser le portrait des comportements sociaux<br />
actuels? Grâce à l’habile métaphore du cirque,<br />
Michel Dorais déplore notamment la perte du sens<br />
de l’intimité au profit des publicités et de l’industrie<br />
du divertissement qui présente des images de plus<br />
en plus aguichantes. Éclairant, quoiqu’alarmant,<br />
puisque son constat ne se rattache pas qu’au sexe,<br />
mais aux mœurs en général.<br />
Qu’est-ce qui fait une bonne scène de sexe en<br />
littérature? Je crois que c’est un peu comme un striptease :<br />
tout est dans l’art de la rétention et du dévoilement. <strong>Le</strong> buildup<br />
sera toujours plus intéressant que l’acte en soi. Ou, à tout<br />
le moins, il le justifiera, il lui conférera une épaisseur. Écrire<br />
qu’un pénis entre dans un vagin n’est pas intéressant à lire peu<br />
importe les mots que vous emploierez, aussi poétiques soientils.<br />
Mais lorsqu’on s’étend au préalable sur un long flirt de<br />
plusieurs mois, une histoire en montagnes russes entre un<br />
étudiant de 17 ans et sa professeure de littérature de 35 ans,<br />
pour finalement aboutir à une scène de sexe complètement<br />
inattendue... On ne parle plus d’un simple organe qui en<br />
pénètre un autre. <strong>Le</strong> fantasme qui enrobe la scène de sexe lui<br />
confère toute sa valeur érotique.<br />
Qu’est-ce qui en fait une mauvaise? Lorsqu’un auteur n’est<br />
pas honnête, dans une scène de sexe, ça se sent. Et c’est<br />
d’ailleurs pourquoi beaucoup d’hommes écrivent de mauvaises<br />
scènes de sexe : ils ne sont pas honnêtes. Il est de bon ton, en<br />
tant qu’homme, de dire que nous aimons baiser, que nous<br />
voulons prendre cette inconnue qui traverse la rue et lui<br />
fourrager la fente. Mais dans les faits, il y a beaucoup<br />
d’hommes, j’en suis sûr, qui ne sont pas si sexuels que ça. Qui<br />
pensent trop à la performance et pas assez au plaisir.<br />
Forcément, ça transparaît dans leur écriture. Ils présentent des<br />
femmes au corps parfait et mettent en scène des performances<br />
parfaites. Un cliché grossier. <strong>Le</strong> bon sexe, souvent, n’est pas<br />
nécessairement esthétique.<br />
L’omniprésence de la porno — notamment sa facilité<br />
d’accès par Internet — force-t-elle les romanciers à<br />
faire toujours plus trash? Non. Je crois que c’est dans la<br />
nature humaine de repousser toute forme de limite quelle<br />
qu’elle soit. Un type comme Vladimir Nabokov a choqué le<br />
monde de la littérature lorsqu’il a publié Lolita (1955), ce qui<br />
était bien avant l’arrivée d’Internet et de l’industrie de la<br />
pornographie de masse. Nabokov a simplement fait « pire »<br />
que tout ce qui avait été publié à ce jour en termes de littérature<br />
érotique. Et ce n’est pas fini. Il y en aura d’autres. Il y a tant de<br />
pans de notre sexualité que nous n’avons pas encore explorés<br />
pour la peine. <strong>Le</strong> meilleur reste à venir!<br />
LA SEXUALITÉ SPECTACLE<br />
Michel Dorais<br />
VLB éditeur<br />
144 p. | 19,95$<br />
Lors d’un voyage en Transylvanie, un couple se voit forcé de<br />
se réfugier dans un manoir. Mais bien vite, ce dernier semble<br />
prendre l’emprise sur les sens de ses visiteurs,<br />
néanmoins prêts à assouvir leurs désirs. Entre<br />
opulence et étrangeté, on erre dans un univers<br />
où l’eau prodigue la plus sensuelle des caresses,<br />
où des êtres invisibles font frémir les invités. Un<br />
roman érotique à saveur gothique, écrit avec<br />
doigté et sens du rythme.<br />
<strong>Le</strong> prix de la pire scène<br />
de sexe revient à...<br />
Depuis dix-neuf ans, le magazine londonien Literary<br />
Review décerne un prix à la pire scène de sexe dans un<br />
roman. Ce Bad Sex in Fiction Award a déjà récompensé<br />
des pointures de la littérature mondiale telles que Tom<br />
Wolfe, Jonathan Littell, Philip Kerr et Norman Mailer. <strong>Le</strong><br />
but du prix est « d’attirer l’attention du public sur la<br />
récurrence de descriptions sexuelles crues, dépourvues<br />
de goût et souvent superficielles dans le roman moderne,<br />
et de décourager les auteurs d’en écrire. » Cette année,<br />
l’écrivain américain David Guterson a eu l’honneur de<br />
remporter le tristement célèbre trophée pour son livre Ed<br />
King, dans lequel il renouvelle le mythe d’Œdipe. On y<br />
retrouve, par exemple, cette scène entre Ed (Œdipe) et<br />
Diane (sa mère) :<br />
« Dans la douche, Ed était debout, les mains derrière la<br />
tête, comme quelqu’un qui vient de se faire arrêter,<br />
pendant qu’elle abusait de lui avec une savonnette.<br />
Après un certain temps, il ferma les yeux et Diane,<br />
brandissant ses ongles et fixant son visage, s’occupa de<br />
lui de ses deux mains expertes, une pressant les bijoux<br />
de famille, l’autre continuant le traitement vigoureux<br />
avec l’eau tiède et le savon. »<br />
Guterson a pris sa victoire avec bonne humeur, notant :<br />
« Œdipe a littéralement inventé le mauvais sexe, donc je<br />
ne suis pas le moins du monde surpris. »<br />
L’Américain a remporté le Bad Sex in Fiction Award<br />
malgré une compétition féroce qui l’opposait entre autres<br />
à Stephen King et Haruki Murakami. L’auteur japonais<br />
faisait partie des favoris avec ce passage de son dernier<br />
roman 1Q84. « Elle avait écarté les jambes, et il pouvait<br />
voir son sexe. Comme ses oreilles, il semblait tout juste<br />
achevé. Peut-être était-ce réellement le cas. Des oreilles<br />
tout juste finies et un sexe féminin tout juste achevé, cela<br />
se ressemble beaucoup, songea Tengo. »<br />
VALACCHIA<br />
Bruno Massé<br />
Guy Saint-Jean éditeur<br />
140 p. | 19,95$<br />
LE LIBRAIRE • FÉVRIER | MARS 2012 • 33