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Numéro 69 - Le libraire

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© Martine Doyon<br />

Chaque année, un magazine littéraire anglais remet le<br />

« Bad Sex Award » à la pire scène de sexe en littérature.<br />

Invariablement, parmi les sélectionnés, on retrouve 80<br />

à 90% d’hommes. Pensez-vous que les femmes écrivent<br />

mieux sur le sexe que les hommes? Oui, je le pense. Et je<br />

crois savoir pourquoi. Entre filles, on passe notre vie à se décrire<br />

des scènes de sexe : parfois ça frise les oreilles tellement on<br />

se donne des détails! On a un désir d’en parler et d’en entendre<br />

parler. On analyse le sexe constamment, on se donne des trucs.<br />

<strong>Le</strong>s gars, en revanche, restent vagues, ne s’en parlent jamais<br />

en détail.<br />

Avez-vous peur du regard des autres? Avant Sexe chronique,<br />

je n’avais jamais écrit. J’ai hésité avant de publier, pensant à<br />

la façon dont les gens me verraient… Mais les gens sont très<br />

respectueux, intéressés. Ils me disent « bravo » d’avoir eu le<br />

courage d’écrire.<br />

Et de celui de vos parents? Au moment où j’ai dit à ma<br />

mère de quoi parlait mon livre — des expériences sexuelles<br />

—, elle s’est écriée « moi aussi, j’en ai eu des comme ça! » Et<br />

c’était parti pendant deux heures. J’aurais aimé avoir une<br />

enregistreuse.<br />

Pierre-Marc Drouin, auteur de Si la tendance se<br />

maintient et de Mile End Stories (Québec Amérique).<br />

Écrire une scène de sexe, est-ce pour vous un exercice<br />

simple ou difficile? Aujourd’hui, je me rends compte qu’il<br />

s’agit d’une de mes forces comme auteur, et pourtant, le tout<br />

se fait en général très naturellement. J’avancerais même que<br />

j’ai davantage de facilité à écrire une scène de sexe qu’à<br />

déplacer un personnage d’un point A à un point B.<br />

<strong>Le</strong>ctures suggestives<br />

Qui de mieux placé qu’un spécialiste de la sociologie de la<br />

sexualité pour dresser le portrait des comportements sociaux<br />

actuels? Grâce à l’habile métaphore du cirque,<br />

Michel Dorais déplore notamment la perte du sens<br />

de l’intimité au profit des publicités et de l’industrie<br />

du divertissement qui présente des images de plus<br />

en plus aguichantes. Éclairant, quoiqu’alarmant,<br />

puisque son constat ne se rattache pas qu’au sexe,<br />

mais aux mœurs en général.<br />

Qu’est-ce qui fait une bonne scène de sexe en<br />

littérature? Je crois que c’est un peu comme un striptease :<br />

tout est dans l’art de la rétention et du dévoilement. <strong>Le</strong> buildup<br />

sera toujours plus intéressant que l’acte en soi. Ou, à tout<br />

le moins, il le justifiera, il lui conférera une épaisseur. Écrire<br />

qu’un pénis entre dans un vagin n’est pas intéressant à lire peu<br />

importe les mots que vous emploierez, aussi poétiques soientils.<br />

Mais lorsqu’on s’étend au préalable sur un long flirt de<br />

plusieurs mois, une histoire en montagnes russes entre un<br />

étudiant de 17 ans et sa professeure de littérature de 35 ans,<br />

pour finalement aboutir à une scène de sexe complètement<br />

inattendue... On ne parle plus d’un simple organe qui en<br />

pénètre un autre. <strong>Le</strong> fantasme qui enrobe la scène de sexe lui<br />

confère toute sa valeur érotique.<br />

Qu’est-ce qui en fait une mauvaise? Lorsqu’un auteur n’est<br />

pas honnête, dans une scène de sexe, ça se sent. Et c’est<br />

d’ailleurs pourquoi beaucoup d’hommes écrivent de mauvaises<br />

scènes de sexe : ils ne sont pas honnêtes. Il est de bon ton, en<br />

tant qu’homme, de dire que nous aimons baiser, que nous<br />

voulons prendre cette inconnue qui traverse la rue et lui<br />

fourrager la fente. Mais dans les faits, il y a beaucoup<br />

d’hommes, j’en suis sûr, qui ne sont pas si sexuels que ça. Qui<br />

pensent trop à la performance et pas assez au plaisir.<br />

Forcément, ça transparaît dans leur écriture. Ils présentent des<br />

femmes au corps parfait et mettent en scène des performances<br />

parfaites. Un cliché grossier. <strong>Le</strong> bon sexe, souvent, n’est pas<br />

nécessairement esthétique.<br />

L’omniprésence de la porno — notamment sa facilité<br />

d’accès par Internet — force-t-elle les romanciers à<br />

faire toujours plus trash? Non. Je crois que c’est dans la<br />

nature humaine de repousser toute forme de limite quelle<br />

qu’elle soit. Un type comme Vladimir Nabokov a choqué le<br />

monde de la littérature lorsqu’il a publié Lolita (1955), ce qui<br />

était bien avant l’arrivée d’Internet et de l’industrie de la<br />

pornographie de masse. Nabokov a simplement fait « pire »<br />

que tout ce qui avait été publié à ce jour en termes de littérature<br />

érotique. Et ce n’est pas fini. Il y en aura d’autres. Il y a tant de<br />

pans de notre sexualité que nous n’avons pas encore explorés<br />

pour la peine. <strong>Le</strong> meilleur reste à venir!<br />

LA SEXUALITÉ SPECTACLE<br />

Michel Dorais<br />

VLB éditeur<br />

144 p. | 19,95$<br />

Lors d’un voyage en Transylvanie, un couple se voit forcé de<br />

se réfugier dans un manoir. Mais bien vite, ce dernier semble<br />

prendre l’emprise sur les sens de ses visiteurs,<br />

néanmoins prêts à assouvir leurs désirs. Entre<br />

opulence et étrangeté, on erre dans un univers<br />

où l’eau prodigue la plus sensuelle des caresses,<br />

où des êtres invisibles font frémir les invités. Un<br />

roman érotique à saveur gothique, écrit avec<br />

doigté et sens du rythme.<br />

<strong>Le</strong> prix de la pire scène<br />

de sexe revient à...<br />

Depuis dix-neuf ans, le magazine londonien Literary<br />

Review décerne un prix à la pire scène de sexe dans un<br />

roman. Ce Bad Sex in Fiction Award a déjà récompensé<br />

des pointures de la littérature mondiale telles que Tom<br />

Wolfe, Jonathan Littell, Philip Kerr et Norman Mailer. <strong>Le</strong><br />

but du prix est « d’attirer l’attention du public sur la<br />

récurrence de descriptions sexuelles crues, dépourvues<br />

de goût et souvent superficielles dans le roman moderne,<br />

et de décourager les auteurs d’en écrire. » Cette année,<br />

l’écrivain américain David Guterson a eu l’honneur de<br />

remporter le tristement célèbre trophée pour son livre Ed<br />

King, dans lequel il renouvelle le mythe d’Œdipe. On y<br />

retrouve, par exemple, cette scène entre Ed (Œdipe) et<br />

Diane (sa mère) :<br />

« Dans la douche, Ed était debout, les mains derrière la<br />

tête, comme quelqu’un qui vient de se faire arrêter,<br />

pendant qu’elle abusait de lui avec une savonnette.<br />

Après un certain temps, il ferma les yeux et Diane,<br />

brandissant ses ongles et fixant son visage, s’occupa de<br />

lui de ses deux mains expertes, une pressant les bijoux<br />

de famille, l’autre continuant le traitement vigoureux<br />

avec l’eau tiède et le savon. »<br />

Guterson a pris sa victoire avec bonne humeur, notant :<br />

« Œdipe a littéralement inventé le mauvais sexe, donc je<br />

ne suis pas le moins du monde surpris. »<br />

L’Américain a remporté le Bad Sex in Fiction Award<br />

malgré une compétition féroce qui l’opposait entre autres<br />

à Stephen King et Haruki Murakami. L’auteur japonais<br />

faisait partie des favoris avec ce passage de son dernier<br />

roman 1Q84. « Elle avait écarté les jambes, et il pouvait<br />

voir son sexe. Comme ses oreilles, il semblait tout juste<br />

achevé. Peut-être était-ce réellement le cas. Des oreilles<br />

tout juste finies et un sexe féminin tout juste achevé, cela<br />

se ressemble beaucoup, songea Tengo. »<br />

VALACCHIA<br />

Bruno Massé<br />

Guy Saint-Jean éditeur<br />

140 p. | 19,95$<br />

LE LIBRAIRE • FÉVRIER | MARS 2012 • 33

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