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<strong>Le</strong> rapport tantôt ludique et jubilatoire, tantôt dramatique<br />
et désespéré avec la langue, qui a tant touché Lorraine<br />
Pintal chez Prévert ou Beckett, elle le retrouve chez un<br />
écrivain d’ici, dont l’œuvre est associée au Théâtre du<br />
Nouveau Monde. « J’ai choisi de parler de Ducharme, mais<br />
ça n’a rien à voir avec la production de HA ha!... qu’on a<br />
présenté cet automne au TNM, de souligner la <strong>libraire</strong><br />
d’un jour en riant. J’ai une passion pour les auteurs qui<br />
déconstruisent la langue, lui font dire autre chose.<br />
Ducharme sait se jouer des accents et des niveaux du<br />
français québécois, qui emprunte tantôt à l’anglais, tantôt<br />
au français de France, tantôt à l’Amérique du Sud.<br />
L’avalée des avalés était une lecture obligatoire du temps<br />
de mes études secondaires; et avec son amour suicidaire<br />
pour sa mère trop belle et omniprésente, je m’identifiais<br />
corps et âme à l’héroïne du roman au point où on me<br />
surnommait Bérénice à l’école! »<br />
Pourtant, parmi les romans de Ducharme, c’est L’hiver de<br />
force que Lorraine Pintal recommande encore plus<br />
chaleureusement. L’adaptation théâtrale qu’elle en a faite<br />
il y a quelques années témoignait d’une époque particulière<br />
dans l’histoire du Québec. « Ducharme esquisse le portrait<br />
d’une société qui se donne dans les années 70 les moyens<br />
de bâtir un pays mais qui, une fois que c’est fait, hésite,<br />
tergiverse, s’enferme dans un lieu clos. Dans le cas d’André<br />
et Nicole, les héros emblématiques, c’est leur appartement<br />
qui devient le coffre-fort de leurs amours, dont ils ne sortent<br />
que la nuit comme des vampires. Bien qu’il ne soit pas un<br />
écrivain à thèse, Ducharme s’en donne à cœur joie et utilise<br />
la faune bigarrée qui peuple ce roman pour décrire un<br />
Québec qui hésite entre l’affirmation de soi et la servilité. »<br />
La comédienne attire également notre attention sur <strong>Le</strong><br />
procès de Franz Kafka, ce cauchemar éveillé<br />
paradoxalement empreint de lucidité glaciale dont elle a<br />
trouvé des échos dans <strong>Le</strong>s Bienveillantes de Jonathan<br />
Littell, un pavé qu’elle n’hésite pas à qualifier de génial<br />
et qui, selon elle, jette une lumière sur ces parts d’ombre<br />
et de mystère que tout humain porte en lui et avec<br />
lesquelles il doit apprendre à vivre. « C’est à mon avis<br />
l’une des fonctions de la littérature, que de nous aider à<br />
apprivoiser cette noirceur de notre âme. » De même, la<br />
comédienne et metteure en scène évoque avec beaucoup<br />
d’émotion l’admirable Purge de la Finlandaise Sofi<br />
Oksanen, qu’elle place dans la parenté thématique des<br />
œuvres des Autrichiens Thomas Bernhard et Elfriede<br />
Jelinek. « Au fil de ce huis clos entre deux femmes en<br />
apparence tellement différentes – Aliide (un personnage<br />
aussi grandiose que Mère Courage, aussi ignoble<br />
qu’Hitler) et Zara, la prostituée qui échoue chez elle –, il<br />
y a l’expression du poids des horreurs passées, de la<br />
guerre, des crimes inavouables. »<br />
Enfin, il serait impensable de ne pas aborder avec notre<br />
<strong>libraire</strong> d’un jour, ne serait-ce que brièvement, l’œuvre de<br />
Nancy Huston, dont Lorraine Pintal mettra bientôt en<br />
scène la pièce Jocaste reine (à la Bordée, à Québec, en<br />
février 2012; puis au TNM, à Montréal, à l’hiver 2013).<br />
« C’est une écrivaine qui m’accompagne depuis très<br />
longtemps, me confie mon interlocutrice. Je songe à<br />
Cantique des plaines, à L’empreinte de l’ange, mais encore<br />
plus à Infrarouge. Si on parle de complexité féminine, de<br />
l’exploration du fantasme féminin, du rapport avec<br />
l’enfance, la société, la maternité, l’amour, on comprend<br />
que le regard posé par Huston sur ces réalités-là est<br />
absolument unique. »<br />
<strong>Le</strong>s choix de<br />
Lorraine Pintal<br />
HUIS CLOS<br />
Jean-Paul Sartre<br />
Folio<br />
246 p. | 13,95$<br />
PAROLES<br />
Jacques Prévert<br />
Folio<br />
256 p. | 13,95$<br />
EN ATTENDANT GODOT<br />
Samuel Beckett<br />
Minuit<br />
164 p. | 16,95$<br />
L’HIVER DE FORCE<br />
Réjean Ducharme<br />
Folio<br />
276 p. | 15,95$<br />
LE PROCÈS<br />
Franz Kafka<br />
<strong>Le</strong> Livre de Poche<br />
285 p. | 8,95$<br />
LES BIENVEILLANTES<br />
Jonathan Littell<br />
Folio<br />
1404 p. | 22,95$<br />
PURGE<br />
Sofi Oksanen<br />
Stock<br />
402 p. | 34,95$<br />
INFRAROUGE<br />
Nancy Huston<br />
Actes Sud<br />
308 p. | 32,95$<br />
LE LIBRAIRE • FÉVRIER | MARS 2012 • 9