Numéro 69 - Le libraire

6 • LE LIBRAIRE • FÉVRIER | MARS 2012
Auteur d’une
vingtaine de livres,
Laurent Laplante
lit et recense depuis
une quarantaine
d’années le roman,
l’essai, la biographie,
le roman policier…
Le livre, quoi!
Qu’ont en commun Zola, Vidal et Mankell, ces auteurs appartenant à des époques
et à des cultures étrangères l’une à l’autre et pratiquant des genres littéraires
différents? La fidélité aux valeurs de liberté et de dignité et le courage requis pour
défendre ces ancrages. Ce qui ne les a pas empêchés de séduire tous trois de
vastes auditoires.
Le courage de Zola, on le touche du doigt quand il affronte le gratin de la société
française et l’institution ombrageuse qu’est l’armée et prend la défense de Dreyfus.
Juif, l’officier Dreyfus a été accusé et trouvé coupable de trahison : il aurait transmis
des secrets à l’ennemi. Zola juge la preuve fragile, obtient la collaboration de
l’audacieux éditeur de L’Aurore et y lance à la une son puissant J’accuse! La réaction
est telle que Zola doit s’exiler. L’écrivain, cela dit, a ébranlé les certitudes et une
nouvelle enquête a eu lieu qui innocente et réhabilite Dreyfus. On apprend même
qu’il y a eu falsification des documents pour diriger les soupçons vers Dreyfus.
Simple goût du spectacle chez Zola? Peu probable, car il savait ce qui l’attendait.
Encore moins probable quand on voit avec quelle vigueur ses romans défendaient
déjà les pauvres, les opprimés, les exploités. Qu’on lise Germinal et l’on
comprendra pourquoi, des décennies après sa première édition, il s’est vendu,
entre 1958 et 1981, plus de trois millions d’exemplaires du livre et pourquoi le
film du même nom (avec Renaud et Gérard Depardieu) compte parmi les plus
grands succès du cinéma français moderne. Romancier, Zola savait réagir
en citoyen.
L’Américain Gore Vidal est un pamphlétaire, mais ce n’est pas la seule corde à son
arc. Dans La fin de la liberté. Vers un nouveau totalitarisme (Rivages), il fournit
LE BILLET DE LAURENT LAPLANTE
Le monde du livre
Zola, Vidal, Mankell...
SOULIÈRES
ÉDITEUR
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l’interminable et scandaleuse liste des expéditions militaires des États-Unis en
dehors de leur territoire et il conclut : « Toujours nous avons porté le premier
coup ». Autrement dit, les guerres dites préventives n’ont pas été inventées par
George W. Bush et n’ont pas cessé à la fin de son règne. Beaucoup de pays, dont
le Canada, donnent pourtant le nom de ministère de la Défense au ministère qui
« porte le premier coup ». Orwell, dans 1984, avait donc raison de faire dire à Big
Brother que « La paix, c’est la guerre... » Simple goût du spectacle chez Vidal? Pas
plus que chez Zola, même si le personnage ne déteste pas faire parler de lui. Dans
son Lincoln (Galaade éditions), biographie rédigée plus de quinze ans plus tôt,
Vidal célébrait déjà la fin de l’esclavage aux États-Unis.
Scandinave un peu désabusé, Henning Mankell a tellement élargi le cercle de ses
lecteurs au cours des récentes années qu’on est tenté de le réduire à sa seule
activité d’auteur de polars. Ce serait une double erreur : l’homme donne une
portée particulière à ses énigmes policières et son implication sociale ne fait pas
de doute. D’une part, Mankell, moins macho que certains de ses confrères,
accorde aux femmes de ses intrigues la place qu’elles méritent. Elles ne sont ni
des figurantes ni des faire-valoir. Elles ont du courage, de la rigueur, de la
détermination. Qu’on lise sous cet angle La cinquième femme (Seuil) ou La muraille
invisible (Seuil). D’autre part, Mankell, qui pourrait s’asseoir sur ses droits
d’auteurs, a eu le courage de s’embarquer sur un des bateaux destinés à tester le
blocus israélien de Gaza. Étant donné les morts survenues lors du précédent effort,
il serait stupide de croire Mankell coupable d’un simple truc publicitaire.
La littérature se grandit à défendre l’humanisme.
FÉLICITATIONS À
MARYSE PELLETIER
LAURÉATE
DU PRIX ALVINE-BÉLISLE 2011
DÉCERNÉ PAR L’ASTED
POUR LES 12 ANS ET PLUS
164 PAGES / 11,95 $